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Les Quatre Orgues d'Erstein

Où et comment situer cet orgue, unique en Alsace, que d'éminentes per­sonnalités ont voulu, il y a vingt ans, laisser mourir de sa belle mort ?

Certes, malgré les dithyrambes des journalistes occasionnels, il n'y a, en cet orgue, pas une once de la doctrine de Silbermann, encore moins des tuyaux de ce facteur d'orgues.

Cet orgue, de 1914, n'est pas né dans une optique d'orgue français ; à part les trois jeux récupérés, il ne doit rien, ou presque rien, à l'orgue alsacien du XVIIIe ou du XIXe siècle. E.A. Rœthinger avait été formé à autre école et sous d'autres auspices. Depuis 1860, sous l'influence des experts, on avait assisté à la disparition des aires organales (« orgellandschaften »), et l'orgue était devenu international, presque identique de la Pologne à l'Espagne.

    Peut-on, dans ces conditions, parler d'un style d'orgue alsacien au XXe  siècle ? Guère, très peu, si l’on est à la recherche d'une spécificité; les orgues alsaciens du XXe siècle pourraient aussi bien se trouver en Suisse, en Alle­magne, au Japon ou en Amérique (nos facteurs ont effectivement construit dans tous ces pays!) ; et nos facteurs se vantent de nous fournir des orgues «nordiques », «espagnols » ou « ita- liens». Que ne se mettent-ils à l'école de Stiehr ou de Callinet dont les instruments ont mis la joie au cœur de nos pay­sans?

Bien sûr, si l’on ne considère que l'emplacement géographique, on est bien obligé, pour situer les choses et pour se faire comprendre, de parler d'un style d'orgue alsacien du XXe  siècle. En ce sens, et avec les restrictions pré­citées, il faut dire que le style d'orgue alsacien du début du XXe  siècle a été forgé par Rœthinger à Strasbourg et Rinckenbach à Ammerschwihr.

Rœthinger surtout (Rinckenbach ayant cessé vers 1932) qui a suivi toute l'évolution de 1893 à 1968, commençant avec le pneumatique et les 8' colo­rés, réalisant ensuite (à partir de 1920) les vœux de Rupp et de sa « réforme alsacienne de l'orgue» avec les orgues de la Synagogue, de Bischheim et de la Cathédrale, passant à la traction électrique, pour aboutir, en mécanique, aux orgues de Sainte Madeleine et de Schiltigheim.

L'orgue d'Erstein constitue le sommet de la première période de Rœthinger, avant la« réforme alsacienne » qui commencée par Emile Ruppen 1898, n'a porté ses fruits qu'après 1920.

Il est évident que Victor Dusch a passé des nuits blanches sur la com­position de son orgue, profondément réfléchie et étudiée. A tel point que nous critiquons et regrettons l’échange trompette-hautbois pratique en 1949,  qui a quelque peu détruit la logique de V. Dusch.

La première chose qui saute aux yeux, dans sa composition, c'est l'aima­ble mélange de termes français et allemands: ça, c'est bien alsacien. Pour les non-initiés : Bourdon et Gedeckt, c'est la même chose. Montre = Prinzipal ; Rohrflöte = Flûte à cheminée.

Le grand-orgue comprend l'ossature des principaux, 16', 8', 4', 2’, Plein-jeu; encore que les puristes eussent exigé en ce dernier jeu davantage de rangs.

Ne critiquons pas le positif, qui n'a de positif que le nom. Car nous avons vu la dégradation du positif s'amorcer dès 1850 chez Stiehr et Callinet. On mettra à l'actif de V. Dusch qu'il y a mis un cornet décomposé, ce qui, en 1913, est tout de même remarquable.

Le récit, avec 17 jeux, s'essaie instinctivement au récit « Cavaillé-Coll », alors que V. Dusch n'en a sans doute jamais eu d'expérience concrète.

Quant à la pédale, essentiellement profonde, ce qu'on recherchait en ce temps-là, démunie de trompette (jeu essentiel pour Callinet), elle est com­posée en fonction des tirasses (que Callinet refusait).

Enfin, pour situer cet orgue en son temps, avant la « réforme alsacienne » de Rupp, il faut noter, à chaque clavier, un jeu à haute pression, hérité de Weigle, qui avait placé des « Starklonregister » à l'orgue de St. Maurice, « katholische Garnisonskirche » en 1898. C'est même ce fait qui a fait bondir Emile Rupp, organiste à St. Paul, « evangelische Garnisonskirche » ; et c'est là-dessus que s'est déclenchée la « réforme ». Toujours est-il que l'orgue Weigle de St. Maurice étant muet depuis quelque temps, les seuls « Stark-tonregister » en Alsace se trouvent maintenant à Erstein. Il convient de pré­server ces derniers témoins, ne serait-ce que pour permettre aux générations futures de se faire une idée de la chose.

C'est pourquoi, l'orgue d'Erstein, resté authentique, mérite d'être conservé tel qu'il est, non seulement comme témoin d'une époque donnée (et à ce titre, il constitue une référence unique et irremplaçable), mais aussi comme le legs spirituel et culturel de l'extraordinaire personnalité que fut Victor Dusch, l'organiste d'Erstein de 1902 à 1935.

(église St-Martin)


par P. Meyer-Siat

Professeur agrégé Docteur

de

l'Université de Strasbourg

PRESENTATION QUATRE ORGUES ANNUAIRE 2003 ANNUAIRE 2005 RESTAURATION HISTORIQUE PATRIMOINE