Apparemment il n'y eut pas d'orgue à Erstein avant la Guerre de Trente Ans : les
comptes communaux (ADBR : une liasse de 1596 à 1684 ; mairie : comptes communaux
et paroissiaux) de ce temps-là n'en parlent jamais, ni la chronique paroissiale,
citée par René Friedel (Geschichte des Fleckens Erstein, 1927). Hors les villes
et certains couvents, on ne trouve d'orgues avant l'an 1600 (et même 1650) que dans
le vignoble.
Selon Friedel (p. 518), le premier orgue d'Erstein fut fourni par le facteur d'orgues
d'Ensisheim et fut amené le 4 juillet 1660 de St. Hippolyte, sans doute payé
par la paroisse.
Comptes 1660 : Den 1. Augusti zue der Orgel geben : 12 livres 15 sols.
Comptes communaux 1661 à 1666 : Dem Schuehlmeister wegen der Orgel zue schlagen
4 Fiertel Moltzen.
Comptes 1667 - 1684 : idem 2 livres.
Comptes 1699 sqq : idem 4 florins
Le facteur d'orgues d'Ensisheim commence à être connu : il s'agit de Hans Jacob Aeby,
un Suisse originaire de Metzerlen (sur la frontière Suisse-Alsace), établi à Soleure,
venu vers 1659 dans l'Alsace exsangue pour réparer, dans son domaine, les dégâts
de la Guerre de Trente Ans (1618-1648). L'organologue suisse Rudolf Bruhin écrit
« Aeby » ou « Aebi » ; en Alsace on connaît l'homme sous l'orthographe « Eby », «
Ebbi », « Ebis » (la finale n'est qu'un « s » du génitif : nous avons contrôlé le
document; on laissera donc tomber cette graphie transmise par Vogeleis), « Abi »
et même « Ewig » (Cahier 79 de Saverne p. 37).
La note de Friedel, attestant que l'orgue d'Erstein fut amené de St. Hippolyte, prouve
vraisemblablement que Aeby, immigré de fraîche date à Ensisheim, avait établi un
atelier à St. Hippolyte, et donc qu'il venait d'y ériger un orgue neuf, ce qui cadre
bien, du reste, avec la suite des obscures histoires d'orgues de St. Hippolyte :
réparation par Cräner en 1747 (Annuaire de Sélestat 1975 p. 146) ; achat de l'orgue
Silbermann de Marbach durant la Révolution (Callinet p. 102).
Voici une synthèse provisoire de la biographie des Aeby père et fils (les données
suisses nous ont été obligeamment communiquées par Rudolf Bruhin que nous remercions
vivement) .
Hans Jacob AEBY
le 31.5.1612:
naissance à Metzerlen
vers 1633 :
il s'installe à Soleure
le 24.1.1642:
naissance de Christoph, son 5e enfant
en 1646 :
il construit l'orgue de la cathédrale St. Ours à soleure
vers 1659 :
il vient à Ensisheim
1660 :
orgue neuf à St. Hippolyte (probable)
4.7.1660 :
orgue neuf à Erstein
5 11. 1660:
traité orgue neuf à Munster (PV réc. 2.6.1661)
1664 :
travail à la cathédrale de Strasbourg, selon FX
Mathias (douteux)
entre 1659 et 1666 :
probablement un orgue neuf à Dambach la Ville et
Ste Croix en Plaine
12.9.1670:
traité orgue neuf à Turckheim (payé 12.6.1671)
? :
retour à Soleure
en 1682 :
il acquiert le droit de bourgeoisie à Soleure
vers 1688 :
décès
en 1642 :
naissance à Soleure
vers 1659 :
il vient en Alsace avec son père
29.4.1667:
traité orgue neuf à Westhoffen
vers 1670 :
il s'installe à Saverne (Vogeleis p. 543)
en 1671, 1672 et 1674 :
accordage de l'orgue J.J. Baldner à Bouxwiller
fin 1674 ou début 1675 :
retour à Soleure
en 1675 :
mariage (à Soleure) avec Anna Maria Baumann
en 1679 :
orgue neuf à Ernen (Valais)
en 1687 :
réparation de l'orgue de Sion-Valère (le plus vieil
orgue du monde, datant des environs de 1400); c'est
sans doute Aeby qui lui a donné sa structure actuelle.
le 29.8.1693 :
décès
Christoph AEBY
En ce temps-là, Erstein possédait deux églises :
l'église paroissiale et l'église « monastérielle » (Munsterkirche). Il est question
de cette dernière dans l'acte n° 24 134 de frimaire 7 du registre 1 L594 (AD) : «
L'église monastérielle, valant 8377 fr., est à vendre ». Selon Friedel (p. 449)
elle fut vendue le 20.8.1801 à Karl Neff, et démolie en 1818.
L'orgue Aeby avait été placé dans l'église monastérielle. En 1702, l’année où la
commune paya 504 livres 8 deniers (soit 252 florins 2 Pfenning) « pour l'achèvement
du bâtiment de l'église paroissiale », il fut transféré dans le chœur de l'église
paroissiale. Selon Friedel (p. 522) le transfert fut effectué par des menuisiers,
serruriers et maçons.
Ces comptes 1702 (Recettes: 16741 livres ; dépenses 16734 livres) portent, du reste,
une autre mention intéressant le sujet (les archives de la mairie conservent deux
séries de comptes de cette époque-là : l'une, originale, en allemand, l'autre, traduite,
en français) :
- Aux 2 hommes qui ont porté les petites orgues à la procession du Saint Sacrement,
à chacun 6 sols (« den beeden so das Régal getragen haben »)
Ainsi donc, nos ancêtres d’Erstein qui ne lésinaient jamais le jour de la Fête-Dieu,
rehaussaient la cérémonie par un de ces instruments en vogue en ce temps-là, complètement
oubliés au XIXe siècle, et dont les rares exemplaires conservés sont des pièces
de musée. Rappelons que la régale est un orgue miniature avec un seul jeu d'anches
à corps minuscules ;la largeur est celle du clavicr,et la majeure partie du volume
total est occupée par les 2 soufflets. L'organologie alsacienne n'en mentionne guère,
et c'est ici le seul et unique que nous ayons trouvé aux archives ; une telle trouvaille
(Friedel n'en parle pas) vaut bien le voyage à Erstein !
L'orgue Aeby fut réparé en 1712; la commune y contribua avec 12 livres (ou 6 florins)
; ce fut sans doute une réparation de la soufflerie, comme on en trouve ensuite une
quantité : en 1725, en 1738,1739, 1742,1744, 1745, 1746,1748, 1749 ; la plupart furent
effectuées par le sellier local.
A partir de cette époque et jusqu'à la Révolution, l'organiste (maître d'école) toucha
8 florins sur les comptes paroissiaux. Le souffleur (Blasbalg-zieher) toucha 3 florins
de 1714 à 1758, 6 florins de 1759 à 1765, 12 florins de 1766 à 1774,18 florins (Joseph
Heim) à partir de 1775. Les mêmes comptes mentionnent l'achat de livres de musique
en 1731 (20 florins le 18 mars ; puis 6 florins le 24 avril, pour les faire relier),en
1756 (8 florins),en 1758 (12 florins « für ein Choralbuch »).
En 1722 Joseph Valtrin (1680 - 5.5.1747) dont la biographie est loin d'être rédigée,
confectionna une nouvelle pédale ; il ne ressort pas des notes suivantes, si l'orgue
Aeby comportait déjà, oui ou non, une pédale ; quand l'orgue fut vendu le 8.6.1758
il avait 2 registres à la pédale ; il est possible aussi que Valtrin ait simplement
ajouté un deuxième registre.
Comptes paroissiaux 1722 :
- den 19 Januar H. Waltrin auf das zu machen habende Pedal geben 30 fl.
- den 26. Märtz H. Waltrin den rest auf das nunmehr gestellte Pedal 50 fl.
De 1726 à 1745 l'orgue fut entretenu, pour 6 florins par an, par Geörg Friderich
Merckel (1691-1766 ; cf. Acta organologica 10, p. 121), un âpre mais malheureux concurrent
de Silbermann. Cela commença, d'ailleurs, par une réparation que Merckel effectua
dans son atelier à Strasbourg :
Comptes paroissiaux 1726 :
- H.Merckhel, den 8. Juli, die Orgel zu stimmen 12 Gulden.
- Den 22. 8 bris Einen Blaspalg, zwo Windladen zu der Orgel aus der Statt zu fuhren
4 Schilling.
- Zoll 2 Schilling 3 Pfenning.
- Den 9. X bris H. Merckhel, dem Orgelmacher, wegen dem Zusatz an die Orgel, auf
Abschlag 20 Gulden.
- Den 17 dito die Pedal Pfeifen und Windladen anzustreichen 2 Gulden.
Les comptes 1746-1749 mentionnent le poste d'entretien et d'accordage, mais sans
dépense, « weillen solches nicht vonnöthen gewesen ».
Comptes paroissiaux 1750 :
- Für Stimm- und- Ausstaubung der Orgel nebst von H. Silbermann selbe in ein ander
Orth tranportiert wordten 19 Gulden 5 Schilling.
Si Silbermann accepta de transférer l'orgue du chœur au fond de l'église, c'est qu'il
espérait, de ce bourg aisé, la commande ultérieure d'un orgue neuf. Il parle de l'orgue
d'Erstein après son transfert, par N. Boulay, à Westhouse (« 9 registres au manuel
et 2 registres à la pédale ») pour 300 florins, le 8 juin 1758 (« Contact» 1978,
à paraître).
West. Ist ein klein‘ Werkel vom alten Valtrin. Es stund zu Erstein in der Pfarrkirche.
Weil die Kirche zu Erstein repariert wurdc, so bin ich ersucht worden, dièse Orge!
auf einen anderen Platz zu stellen, was im Augst 1750 gesehehen. Bey dieser liederlichen
Geschichte, habe ich erfahren, was mir auch schon begegnet ist, namlich es hiess
nachgehends : Wann Herr Silbermann mehrere Zeit natte anwenden wollen, so hcîtte
noch vieles besscr gcmacht werden können.
Silbermann prétend donc que cet orgue était de Valtrin père, son concurrent acharné
; les documents retrouvés ne confirment pas la chose : selon les archives, cet orgue
n'était qu'en partie de Valtrin. Avoir fait ce travail pour 19 florins, avoir subi
des critiques par après, et être évincé ensuite par Nicolas Boulay, un ouvrier de
Valtrin Silbermann ne pardonna jamais cette humiliation à Erstein.