Autres photographies et croquis concernant ce chapitre publiés dans notre galerie : http://erstein67.free.fr/photos
13.08.2014

LES  TANNEURS  AVANT  1800

Die Heuwt die henck ich in den Bach,

Werff sie in den Escher darnach ;

Dergleich die Kalbfel auch also ;

Darnach wirff ich sie in das Loh

Da sie ir ruhe ein Zeit erlangen ;

Darnach henck ichs auff an die Stangn ;

Wusch darnach ab mit eim Harwüsch

Und habs feyl auff dem Leder Tisch.

Der Laederer, Hans Sachs : poète allemand,

né à Nurenberg (1494-1575).

Beschreibung aller Stände, Frankfurt 1568.

Avant de pouvoir s'installer à son compte, l'ouvrier tanneur sorti de l'apprentissage était obligé de travailler encore un certain temps chez un patron : c'est ce qu'on appelait le compagnonnage.

Beaucoup de compagnons tanneurs faisaient leur « Tour de France » en exerçant leur métier dans d'autres entreprises; souvent aussi ils par­couraient les pays limitrophes. Ces pérégrinations pédestres duraient parfois plusieurs années.

Quand le compagnon prenait congé d'un patron, on lui délivrait une attestation désignée sous le nom de « Gesellenbrief »  « Handwerksbrief », « Handwerkskundschaft »). Ce document avait, au XVIIIème siècle, une très grande importance pour le compagnon itinérant, car il lui servait à la fois de références, de papier d'identité et de passeport. En fait, il s'agissait d'un formulaire pré-imprimé où l'artisan employeur et ses supérieurs hiérarchiques (maître de corporation, magistrats, etc.) notaient le métier du compagnon ainsi que le temps pendant lequel ce dernier avait travaillé dans l'entreprise, avec, en plus, une appréciation sur son compor­tement. Souvent le document était orné d'une vue de la localité, ce qui lui conférait encore davan­tage d'authenticité et renforçait son caractère de passeport.

A titre d'exemple, nous présentons la repro­duction d'un « Gesellenbrief » délivré en 1762 à un compagnon de passage qui avait travaillé pen­dant six semaines chez un tanneur d'Erstein (voir fig.1). En voici la traduction :

« Nous Jurés, Maître de Corporation et autres Maîtres de l'honorable métier de tanneur du Bourg d'Erstein en Alsace, certifions par la présente que le compagnon ici présent, dénommé Johannes Antonius Wentz, natif de Kentzingen, âgé de 18 ans, de petite taille et aux cheveux châ­tains, a travaillé en ce lieu pendant six semaines et que durant cette période il s'est comporté d'une manière fidèle, assidue, silencieuse, paisible et loyale, comme il sied à chaque compagnon ; ce que nous attestons donc ; par conséquent et ainsi qu'il convient, nous prions tous nos confrères Maîtres-tanneurs d'accorder partout leur soutien à ce compagnon, comme c'est l'usage dans les corps de métier ; en foi de quoi nous avons imprimé ici notre sceau ».

Date : Erstein, le 9 avril 1762
Hanns   Michel  Heym   -   Maître  juré   de Corporation

Johannes Streicher - Tanneur à Erstein   StephanKarst - Maître Assesseur


Ce genre de formulaire « rempli » à la main est très rare. Pour Erstein on n'en connaît à ce jour que deux exemplaires : celui qui vient d'être cité se trouve aux archives de la ville de Fribourg-en-Brisgau; le second fait partie de la collection privée du Professeur Klaus Stopp de Mayence ; il est plus tardif (2.1.1780) et concerne un com­pagnon forgeron. La rareté de tels documents s'explique aisément par le fait qu'ils étaient la propriété personnelle de compagnons itinérants et n'étaient pas enregistrés aux archives.

Les formulaires pré-imprimés utilisés par les corporations d'Erstein étaient réalisés à partir d'estampes tirées sur une matrice de cuivre ; ce cuivre, gravé vers 1750, a été heureusement conservé.

La gravure représente un encadrement à motifs baroques dont la partie inférieure est rehaussée par une vue panoramique d'Erstein avec, de chaque côté, les armoiries de la ville. Cette vue ancienne, la seule que nous possédions, présente un grand intérêt pour notre histoire locale : elle nous montre le côté ouest du bourg; en l'examinant de gauche à droite, on distingue successivement cinq bâtiments dominants : la « Kloster » ou « Munsterkirche », l'Hôtel de Ville avec son beffroi, l'église paroissiale Saint-Martin, le château de la Rebmatt avec sa façade Renaissance et la porte dite « Obertor ». Le médaillon gravé en-dessous de cette vue était réservé à l'impression du sceau de corporation.

Pour réaliser les formulaires devant servir d'attestation de travail, on imprimait le texte sur les estampes. A part quelques variantes, le libellé était le même pour toutes les corporations.

Le « Gesellenbrief » [fig1] délivré par nos corps de métier avait un format de 500 mm sur 500 mm ; par ses dimensions et la richesse de son ornemen­tation, il constituait un document remarquable; introduit au milieu du XVIIIème siècle, il resta en usage jusqu'à la Révolution Française.

Le compagnonnage lié à la corporation de l'Ancien Régime disparut avec elle. On le vit cependant renaître plus tard sous d'autres for­mes, parfois en tant que simple usage ; le « Gesellenbrief » céda la place au « Livret Ouvrier » de l'an XII.

Nous évoquerons plus loin deux de ces documents : le Livret du compagnon tanneur Georges Andlauer, établi en 1820, et celui de son fils Louis, daté de 1863.

Jadis, où l'industrie du cuir était florissante en Alsace, le bourg d'Erstein figurait parmi les plus importants centres de production avec Stras­bourg, Barr, Sélestat, Colmar et Wasselonne. La proximité de vastes forêts qui donnaient l'écorce nécessaire à la fabrication du tan, ainsi que la pré­sence d'un réseau hydrographique exceptionnel dans une région où le cheptel bovin ne manquait pas, favorisaient dans une large mesure le déve­loppement de la tannerie.

En fait, il s'agissait d'entreprises familiales dont la majorité était concentrée au Fossé des Tanneurs; là se trouvait également le moulin à tan, dit « Lohmùhl ». Il y avait bien quelques ate­liers ailleurs, par exemple au Quai du Couvent, près du Mühlgraben ; au XVIIIème siècle on cite même deux autres moulins à tan dont l'un fut converti ultérieurement en moulin à huile  « Olmùhl ».

Les tanneurs ersteinois avaient comme patron Saint Martin, qui était en même temps le saint patron de la paroisse.

Leur emblème représentait un couteau à revers (« Falzschere ») disposé sur deux racloirs entrecroisés.

Ils étaient affiliés à la corporation des artisans.

Les tanneurs dans la société.

Le compagnonnage était l'une des obliga­tions qu'imposait à tous ses membres la corpo­ration, telle qu'elle existait avant la Révolution Française. En outre, une réglementation propre aux tanneurs leur imposa un temps la « marque de fabrique ».

- Le compagnonnage

- Les marques de fabrique.

Un arrêt du Conseil d'Etat du Roi du 28 février 1773 obligea les tanneurs à apposer sur les cuirs leur marque de fabrique. Celle-ci était frappée à l'aide d'un marteau spécialement conçu à cet effet; chaque artisan était tenu d'en faire enregistrer les empreintes au greffe du lieu où il exerçait. [fig 2]

fig 2 :Marque de fabrique Charles Mick

fig 1: « Gesellenbrief » délivré en1762 à un compagnon tanneur

Dans les archives de la ville d'Erstein sont conservés trois procès-verbaux d'enregistre­ment munis chacun d'un échantillon de cuir avec marque de fabrique. Deux de ces actes sont datés du 30 juin 1773 et concernent respective­ment les tanneurs Simon Keyser et Joseph G'sell ; le troisième, établi le 3 juillet 1773, est libellé au nom du tanneur Charles Mick. Vu la rareté de tels documents, nous citons l'un des écrits in extenso :

« L'an 1773, le 30 juin à huit heures du matin par devant nous François Joseph Bourger greffier notaire du Bourg et bailliage d'Erstein est comparu Joseph G'selle Bourgeois tanneur de ce lieu, lequel a déclaré que pour satisfaire à l'ar­ticle quatorze de l'arrêt du Conseil d'Etat du Roi du vingt huit février dernier, il a fait faire un mar­teau pour marquer les cuirs et peaux de sa fabri­que et qu'il est nécessaire que les empreintes dudit marteau soient déposées au greffe de cette juridiction et les autres délivrées au comparant pour les déposer au bureau du régisseur. A quoi obtempérant nous greffier susdit et soussigné avons en sa présence fait frapper les empreintes dudit marteau sur deux morceaux de cuir, l'un après l'autre, représentant ces lettres à Erstein, pour exerque Joseph G'selle et au-dessous un ornement en cul de lampe. Ce fait, nous nous sommes chargés d'un desdits morceaux de cuir pour yceluy rester déposé en ce greffe, à l'effet d'y avoir recours quand besoin sera. L'autre mor­ceau de cuir a été remis au comparant aux fins comme dit est, après y avoir apposé, pour le ren­dre plus constant et authentique sur cire d'Espa­gne rouge le sceau de cette juridiction, dont pareille empreinte a été mise et apposée sur le champ sur le morceau de cuir qui doit rester au présent greffe. De tout quoi avons dressé le pré­sent  procès-verbal pour servir et valoir ce que de raison et signé avec le comparant à Erstein les jour mois et an que dessus ».

Joseph G'sell                                                                       F.J. Bourger - greffier

L'arrêt du Conseil d'Etat du Roi promulgué en 1773 resta en vigueur pendant 16 ans seule­ment; il fut abrogé pendant la Révolution et, depuis cette époque, le marquage des cuirs demeura toujours facultatif.

Les familles

Les premiers tanneurs (« coriarü ») mention­nés dans les registres paroissiaux s'appellent Gröb (Gräb, Greb, Grieb ou Krôb). Ils exercent le métier de père en fils depuis la fin du XVIème jusqu'au début du XVIIIème siècle. En 1673 il est question d'une « Lohmùhl » d'un Christmann Gröb.

Par la suite, nous trouvons toute une série de tanneurs qui sont presque tous installés le long du Gerbergraben.   Fig : Les familles Tanneurs avant 1800

En 1681 Marzolf Bodemer, un tanneur originaire de Geispolsheim, se marie avec une ersteinoise nommée Margarethe Eser ; il possède un moulin à tan (1681 : « die Stampfmùhle des Mar­zolf Bodemer ».

Un autre tanneur, Johann Georg Lorentz, fils du bourgmestre Dominique Lorentz de Ribeauvillé, épouse en 1699 Maria Magdalena Kuhn, une fille du prévôt Johann Adam Kuhn d'Erstein. Beaucoup d'enfants naissent de cette union, mais ils meurent tous en bas-âge. En 1700 Georg Lorentz est cité « Rotgerber am Katzensteg ». Il meurt en 1714, âgé de 38 ans seulement, en léguant 100 florins pour une fondation de deux messes solennelles à chaque anniversaire.

Sa veuve Maria Magdalena, née Kuhn, se remarie six mois plus tard avec un tanneur venu d'Epfig, Johann Chrysostom Spitz ; mais, trois ans plus tard, elle décède à son tour à l'âge de 35 ans; dans le registre paroissial on peut lire la note suivante : « legavit quinquaginta florenos pro anniversaris anno; sepulta est intra ecclesiam infra baptisterum juxta primum maritum suum Johannem Georgium Lorentz » (« elle a légué 50 florins pour une messe à chaque anniversaire ; elle est inhumée à l'intérieur de l'église au pied du baptistère, à côté de son premier mari Johann Georg Lorentz »).

L'année suivante, en 1718, Johann Chrysos­tom Spitz épouse en secondes noces une certaine Anna Maria Winner. Les initiales de leurs noms respectifs : J.CH.SP et A.M.W., sont gravés sur la belle dalle de grès encastrée à côté du poteau cornier de l'ancienne tannerie au n° 1 rue du Moulin ; on peut en conclure que le couple était propriétaire de la maison; sans doute y habitait-il, ou tout au moins à proximité.

Au cours de son existence, Johann Chrysos­tom Spitz acquit une certaine notabilité puisqu'il assuma la fonction de bourgmestre pendant qua­tre années. C'est lui qui, avec son beau-père, le prévôt Adam Kuhn, réalisa en 1726 l'enquête relative à la digue dite « Börscheu », dont l'en­tretien était l'objet de différends entre la com­mune et les meuniers. Il mourut en 1738.

Deux de ses fils continuèrent à exercer le métier de tanneur : François Ignace Spitz, né du premier lit, décéda en 1754 à l'âge de 39 ans; François Joseph Spitz, issu du second mariage, semble avoir joué un rôle important dans la vie communale de l'époque, car il fut élu bourgmes­tre à six reprises. Il est à peu près certain qu'il résidait dans les parages du « Gerbergraben » ; à ce sujet, deux faits méritent d'être signalés :

Au cours de l'année 1744 où l'Hôpital menace ruine, le « Rotgerber » Franz Josef Spitz prie la commune de bien vouloir lui céder l'emplacement du bâtiment, au cas où elle pro­céderait à sa démolition ; en contrepartie il offre 50 florins.

D'autre part, sur une liste établie en 1770-1771 lors d'une révision des biens du Grand Chapi­tre, il est spécifié que le bourgmestre Franz Joseph Spitz, propriétaire d'un moulin à tan, doit verser annuellement deux florins pour uti­lisation de la chute d'eau ; on peut admettre que le moulin à tan en question était la « Lohmùhl » du « Katzensteg ».

A la fin du XVIIème siècle et au début du XVIIIème siècle, les registres paroissiaux mention­nent souvent le tanneur Petrus Wolleber, con­joint de Maria Eva Willmann. Parmi ses nombreux enfants, deux seulement atteindront l'âge adulte : une fille appelée Elisabeth et un fils pré­nommé Johann Wilhelm qui sera plus tard tan­neur. Petrus Wolleber meurt en février 1714 à 35 ans.

Sa veuve Maria Eva, née Willmann, ne le pleure pas longtemps puisque, le 5 novembre de la même année, elle convole en secondes noces avec Johann Streicher  un tanneur originaire d'Obernai. C'est ce dernier qui signa le « Gesellenbrief » de 1762 que nous avons décrit plus haut. Après le décès de sa femme, Johann Strei­cher se remaria encore deux fois ; il trépassa en 1764, à l'âge de 79 ans.

Quant au tanneur Johann Wilhelm Wolle­ber, le fils de Petrus Wolleber, il épousa en 1725 Maria Gertrud Büngener, fille d'un agriculteur de Knewelinghausen (archidiocèse de Cologne). Nous les retrouverons à propos de la maison de tanneur qui porte aujourd'hui le n° 26 dans la rue du 28 Novembre. Johann Wilhelm Wolleber mourut en février 1728 à la fleur de l'âge ; il avait à peine 23 ans.

Sa veuve n'attendit même pas six mois pour se remarier avec un tanneur venu de Mackenheim, François Joseph Beck, fils du prévôt Melchior Beck ; la mort la faucha en octobre 1731. Beck se consola quatre mois plus tard en épou­sant en secondes noces Maria Franziska Kopp, une fille de Daniel Kopp, aubergiste de la « Couronne » à Erstein (« Kronenwirt »). Il décéda en 1743.

Trois ans plus tard, en mai 1746, Maria Franziska Kopp se remaria avec un autre tanneur, François Simon Keyser, fils de François Antoine Keyser, tanneur à Kentzingen (diocèse de Cons­tance), et de Anastasia Gerber. Simon ne tarda pas à se fixer dans notre localité où il exerça sa profession pendant de nombreuses années. Il s'éteignit en 1787 au bel âge de 89 ans.

Un seul de ses fils avait appris le métier de tanneur ; au baptême on lui avait donné le curieux prénom de Béda ; était-ce un présage de ses futu­res espiègleries ? Nul ne le sait. Marié deux fois, il fut père de... 19 enfants. A la naissance du der­nier, il avait 73 ans sonnés. Il habitait avec sa famille au 112 Quartier Verd, l'actuelle maison n° 28 rue du 28-Novembre. L'une de ses fil­les fut honorée dans des conditions assez parti­culières : en 1810, à l'occasion du mariage de Napoléon avec Marie-Louise, la commune avait décidé d'attribuer une dot de 600 F à la demoi­selle vertueuse qui épouserait un militaire inva­lide; la « rosière » choisie par le Conseil Munici­pal fut Marie-Anne Kayser, elle comptait 24 printemps. Le 2 décembre 1810, date anniver­saire de la victoire d'Austerlitz, elle se maria avec un ersteinois de son âge, François Joseph Andres, pensionné de guerre ;  l'année précédente, au cours d'une bataille près d'Oberwalsch en Dalmatie, il fut blessé par une balle en pleine poitrine.

Béda Kayser était un personnage si extrava­gant et si dépensier que ses frasques ont survécu dans la mémoire populaire et animent encore aujourd'hui les conversations des personnes âgées.

Ainsi, sous prétexte qu'il entendait mal la cloche de l'église, il fit installer dans sa propriété une horloge monumentale qui sonnait les heures, non seulement pour lui, mais pour tous les habi­tants du quartier.

Une autre fois, il fit fabriquer pour son che­val un harnais, une selle et des étriers plaqués d'argent massif. Cela lui coûta une petite fortune. Ensuite il fit proclamer dans tout le bourg que l'Empereur, le Kaiser, allait arriver. Au jour et à heure dits, on vit Béda faire une entrée triom­phale par le « Niedertor » de la Ville. Habillé comme un seigneur, il se dressait sur son cheval chamarré d'argent en criant à tue-tête :

- « D'r Kaiser kommi ! D'r Kaiser kommi ! »
(« Le Kaiser arrive ! Le Kaiser arrive ! »)

A la foule impatiente qui demandait :

- « Wo esch dann d'r Kaiser ? »
(« Où est donc le Kaiser ? »)

il répondait avec une fausse candeur :

- « Ech ben jo d'r Kayser ! »

(« Mais, Kayser, c'est moi ! »)

Seulement voilà, la garde qui veillait dans la cohue, ne l'entendit pas de cette oreille et eut vite fait d'appréhender le farceur. Il fut conduit au poste et, malgré ses vives protestations, on le condamna à la prison pour outrage à l'empereur. Par la suite, ayant dilapidé tous ses biens, Béda Kayser abandonna le métier de tanneur (vers 1798) et devint garde-forestier. Il mourut en 1831.

En 1758 deux autres tanneurs commencent à déployer leur activité au Gerbergraben : Char­les Mick et Ignace Britsch.

Charles Mick dit le Vieux était originaire de Eger (diocèse de Prague, en Bohême), où il avait appris le métier chez son père, Sébastien Mick. En 1762, quatre ans après son arrivée à Erstein, il s'unit par le mariage à Anna Maria Scheyer, fille de Léonard Scheyer, cordier à Ers­tein. Un de ses fils, prénommé Antoine, le seconda activement dans le métier. Ils habitaient ensemble au 105 Quartier Verd, aujourd'hui le n° 9 rue du Moulin.

Ce petit bâtiment à colombage, situé au bord du Fossé derrière le Café de l'Ours, est voué à la démolition. Sur le poteau d'angle sont gravées les initiales « CM. » et « A.M. » des prénom et nom des deux tanneurs. En visitant la maison­nette, on est frappé par l'exiguïté des pièces : une cuisine minuscule et des chambrettes disposées irrégulièrement, dont chaque recoin témoigne de la vie dure des artisans d'autrefois. Un escalier raide et étroit mène à un grenier relativement vaste où les poutres montrent encore par endroits les chevilles de bois destinées à la suspension des peaux.

Après la mort de son père, en 1803, Antoine Mick déménagea au 118 Quartier Verd, l'actuelle maison n° 8 rue des Serruriers, à côté de la « Lohmùhl ». Plus tard, il arrêta son activité de tanneur et finit sa vie comme cultivateur.

Ignace Britsch, fils du tanneur obernois Laurent Britsch, épousa en 1758 une nommée Maria Anna Hùrter, fille de Rudolf Hùrter, jar­dinier à Erstein, et de Odilia Umbrecht). Il s'installa au 109 Quartier Verd, c.à.d. dans la plus ancienne des trois maisons de tanneurs qui existent encore aujourd'hui, et qui porte le n° 1 rue du Moulin. Ses deux fils Antoine et Louis Britsch exercèrent le métier au même endroit.

Ignace Britsch mourut en 1809. Son fils Antoine le suivit dans la tombe quatre années plus tard. Quant à Louis, il cessa son activité vers 1829.

Sur le tableau I figurent encore quatre autres artisans : Joseph G'sell, Georg Adam Specht, Johann Theobald Millier et son fils Franz Joseph; mais ceux-ci n'étaient pas établis au Gerbergraben.

Dans ce groupe, il convient de retenir Joseph G'sell, car ses descendants jouèrent un rôle important dans la suite des événements. Il avait son atelier au 30 Quartier Verd, c.à.d. au Quai du Couvent près du Mühlgraben. Fils du maître-tanneur Mathias G'sell de Benfeld, il s'était fixé à Erstein en 1767, après avoir épousé Marie Odile Karst, une petite-fille du tanneur Petrus Wolleber. Quatre de ses fils ont choisi le même métier. Comme l'histoire de cette famille concerne surtout le XIXème siècle, elle sera abor­dée au chapitre suivant.

Cet aperçu bien incomplet des anciennes familles de tanneurs suscite quelques réflexions :

D'abord il rappelle, une fois de plus, l'ef­froyable mortalité infantile du temps jadis.

D'autre part, jusque vers 1750, la majo­rité des tanneurs mouraient dans la force de l'âge, c.à.d. avant la quarantaine. A noter aussi la fré­quence des remariages après un veuvage qui était généralement de courte durée.

Le tanneur en quête d'une épouse partait souvent fort loin « trans Rhenum » , « bien au-delà du Rhin », marque le recteur Bungener dans un des registres paroissiaux) ; sans doute avait-il fait sa connaissance au cours de son compagnonnage.

Paradoxalement, la plupart des chefs de famille n'étaient pas natifs d'Erstein, mais avaient épousé une ersteinoise.

Il n'était pas rare de voir un tanneur chan­ger de profession à une certaine époque de sa vie.

Malgré la présence de nombreux cours d'eau, presque toutes les tanneries s'échelon­naient le long du Gerbergraben, preuve évidente que cet endroit offrait les meilleures conditions pour l'exercice du métier  ;  de ce fait, les famil­les de tanneurs constituaient dans le bourg un petit monde à part, plus ou moins replié sur lui-même.

Entre 1700 et 1800 nous avons relevé les noms de 23 tanneurs ; cet artisanat avait donc chez nous une importance insoupçonnée.

LES  TANNEURS  AVANT  1800

FOSSE DES TANNEURS GRABENMUHL LOHMUHL NIEDERMUHL MEUNIERS-TANNEURS Les TANNEURS-I Les TANNEURS-II LES CLOUTIERS
.
.
.
.