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13.08.2014

Le moulin à tan, dit Lohmùhl, est situé sur le Fossé des Tanneurs près du Katzensteg. Comme son nom l'indique, il était destiné à la fabrication du tan, c'est-à-dire de l'écorce de chêne moulue utilisée pour le tannage des peaux.

Le principe actif du tan est le tanin qui a la propriété de rendre les peaux imputrescibles et de les transformer en cuir, tout en leur conservant souplesse et résistance.

Depuis longtemps, les tanneurs avaient constaté empiriquement que la teneur en substance tanante était plus élevée dans l'écorce des chênes âgés de 20 ans ou moins et qu'elle atteignait son maximum au printemps, au moment de la poussée de la sève. De même, ils avaient remarqué que la richesse en tanin de l'écorce variait suivant la nature du sol sur lequel l'arbre avait poussé.

Le tan était utilisé sous forme naturelle et en macération. Après divers traitements préliminaires, les peaux étaient empilées dans des « fosses » entre des couches épaisses d'écorce de chêne moulue : cette opération était renouvelée périodiquement. Nous y reviendrons plus en détail au chapitre concernant les tanneurs.

Une fois transformées en cuir, les peaux étaient séchées dans les vastes et pittoresques combles ouverts, qui font encore de nos jours le charme de nos. trois vieilles tanneries.

La tannée, c'est-à-dire le résidu du tan ayant servi à la préparation du cuir, était utilisée pour la fabrication des fameux « Lohkas » qui étaient vendus dans le temps comme combusti­ble. Les habitants du quartier l'employaient aussi comme matériau isolant.

Le tannage à l'écorce de chêne remonte à la plus haute antiquité. Il était encore utilisé par les tanneurs ersteinois jusqu'au début de notre siècle et leur technique ne différait pas essentiellement de celle pratiquée par leurs ancêtres.

Mais le procédé avait un inconvénient majeur: il exigeait beaucoup de temps. Le tannage des peaux de gros bovins durait en moyenne deux ans, parfois même plus. Selon un vieux dicton, le tanneur était heureux, à condition de pouvoir prendre  son  temps et d'avoir assez d'écorce à sa disposition pour moudre du tan :

Zit un Loh Màcht da Garwer fröh !

A Erstein, les tanneurs fabriquaient exclusivement du cuir fort, à partir de peaux de vaches, de boeufs ou de taureaux. Ce cuir était vendu au poids à d'autres artisans, aux cordonniers avant tout, mais aussi aux selliers, bourreliers, etc..

En général, l'approvisionnement en écorce ne présentait pas de difficulté, sauf pendant la Révolution Française, où l'équipement des armées de la République nécessita une grande consommation de cuir. Au début de l'année 1794, plusieurs tanneurs ont adressé aux autorités une pétition « aux fins d'ordonner que les coupes ne pourront se faire que dans le temps propre à écorcer » en même temps, ils ont demandé que'les administrations des Districts « soient autorisées à mettre en réquisition les chênes de vingt ans et au-dessous ». Le Directoire du Département approuva la requête et ne tarda pas à donner satisfaction aux tanneurs. Voici un extrait d'une délibération datée du 15 avril 1794, relative à l'écorçage des chênes :

«Le Directoire du Département du Bas-Rhin, considérant que les moyens de faciliter la fabrication des cuirs doivent surtout dans les circonstances actuelles, fixer la sollicitude de l'administration ; que quoique par par le Décret du 6 Ventôse, celles des Districts soient autorisées à mettre sur la demande des tanneurs, en réquisition les chênes de vingt ans et au-dessous, il importe néanmoins de profiter des ressources en écorces qu'offrent les coupes extraordinaires ordonnées par le Décret du 13 Pluviôse, et celles ordinaires non encore exploitées.

Considérant que les coupes extraordinaires n'ont pas encore pu être vendues, attendu que leurs assiettes ne sont pas terminées dans quelques arrondissements; que cependant la saison étant très avancée, il est indispensable de mettre à profit le temps propre à écorcer, et que dès-lors, il devient impossible d'attendre que la vente de ces coupes soit faite, afin d'y faire l'écorcement par les adjudicataires ;

Arrête en séance publique.

1° - Les Inspecteurs forestaux seront tenus de faire abattre, au moment de la sève, et écorcer tous les chênes à ce propres dans les coupes à exploiter dans les forêts nationales de leurs arrondissements...

2° - Ils requerront des Municipalités le nombre de bûcherons et travailleurs nécessaire; lesdites Municipalités seront tenues d'obtempérer de suite à ces réquisitions, et rendues responsables des préjudices qui résulteront du manque d'ouvriers qu'elles auraient dû fournir.

3° - ...

4° - Les bottes d'écorces seront de trois pieds de longueur sur trois de circonférence.

5° - Les Inspecteurs dresseront un état de la quantité de bottes qu'aura produite chaque coupe.

6° - Ils les feront ensuite déposer dans des lieux convenables, où elles seront à l'abri de la pluie.

7° - Elles seront délivrées par lesdits Inspecteurs aux tanneurs sur les autorisations des Directoires des Districts...

8° - Les adjudicataires des coupes ordinaires de la présente année, non encore exploitées, ainsi que les propriétaires de forêts qui, en exécution de l'article II du Décret du 13 Pluviôse, sont tenus d'exploiter extraordinairement, feront écorcer tous les chênes qui y seront trouvés propres dans leurs coupes. Les Inspecteurs veilleront à l'exécution du présent article.

9° - Lesdits Inspecteurs enjoindront également aux Communes qui ont encore des coupes ordinaires ou extraordinaires à exploiter, d'y écorcer les chênes. Leurs Municipalités vendront ces écorces d'après le prix fixé par la loi...

10° - La présente Délibération sera imprimée dans les deux langues, lue, publiée et affichée partout où il appartiendra».

Le tan confère au cuir brut, une coloration rougeâtre. C'est pourquoi les tanneurs, autrefois, étaient désignés sous le nom de « Rotgerber». Les tanneurs ersteinois sont restés Rotgerber jusqu'en 1824, époque à laquelle Georges Andlauer, un jeune artisan venu de Kogenheim, introduisit les méthodes de corroyage par lesquelles le cuir brut de tannage est amené à l'état de cuir fini.

La fin du XIXème siècle marqua le déclin de la tannerie traditionnelle, par suite de l'apparition de procédés beaucoup plus rapides, notamment chimiques, qui éliminèrent progressivement le tannage lent à l'écorce de chêne.

L'évolution vers la grande industrie et le machinisme donna finalement le coup de grâce aux entreprises artisanales. C'est ainsi que le dernier tanneur d'Erstein dut abandonner son métier en 1908. Cela ne signifie pas que les méthodes nouvelles ont amélioré la qualité du cuir, bien au contraire ; aujourd'hui des artisans ont recours au tannage à l'écorce de chêne pour fabriquer du cuir dit de luxe, dont le prix de revient est évidemment élevé.

D'autre part, le tannage végétal a l'immense avantage de n'être pas polluant ; jadis les débris de viande et de graisse provenant du « travail de rivière » des peaux, attiraient dans notre fossé énormément de truites.

La Lohmùhl et le Katzensteg.

Historique de la Lohmùhl.

A vrai dire nous ne savons pas grand chose sur l'origine de la Lohmùhl, mais il est certain que celle-ci existait déjà à la fin du XVIème siècle. En effet les archives mentionnent dès cette époque une famille de tanneurs («Coriari») dont la lignée couvre tout le XVIIème siècle: les Grôb (voir le chap. concernant les tanneurs). Jusqu'à la Révolution Française, nous n'avons cependant que des données chronologiques isolées.

– 1673. La Lohmùhl de Christmann Grôb.

– 1681. Le moulin à tan dit Lohmùhl de Marzolf Bodemer (Arch. munie. d'Erstein HH 30)

– 1770-1771 Il est question de deux moulins à tan, l'un appartenant à Jean Bernard Corhumel et l'autre au bourgmestre François Joseph Spitz ; chacun de ces derniers paye annuellement 2 florins de droit canonique, pour utilisation de la chute d'eau, mais nous ignorons lequel des deux était propriétaire de la Lohmùhl du Katzensteg.

— Après la Révolution, la Lohmùhl passe entreles mains du tanneur Joseph G'sell. Celui-ci meurt en 1804 et ses fils Joseph, Mathias et Antoine héritent du moulin.

— 1834. Les matrices cadastrales de cette époque précisent que les trois frères tanneurs Joseph, Mathias et Antoine G'sell possèdent chacun 1/3 de la Lohmùhl située au n° 110 Quartier Verd.

— 1838. Mathias G'sell meurt.. Son gendre, le tanneur-corroyeur Georges Andlauer devient co- propriétaire du moulin. Après sa mort, en 1850, ses deux fils Joseph et Louis prennent la succession.

— 1864. Le tanneur Joseph Andlauer entreprend la reconstruction de la Lohmùhl.

— 1868. A la suite de mariage et de succession, la Lohmùhl finit par appartenir entièrement aux deux frères tanneurs Joseph et Louis Andlauer.

— 1870. La construction du bâtiment est terminée comme en témoigne la plaque en grès encastrée dans l'un des murs.

– 1889. Joseph Andlauer cède sa part à son frère Louis qui est désormais le seul tanneur exerçant encore à Erstein. A partir de 1908, ce dernier se voit contraint d'arrêter presque complètement son activité, mais il continue de fabriquer du tan épisodiquement jusque vers 1910-1911.

1924. Virginie Andlauer, une fille de Louis, vend la Lohmùhl à Charles Gerhart d'Erstein (1.3.1924). Elle appartient aujourd'hui à M. Lang Antoine, qui avait épousé une fille Gerhart.

Louis Andlauer, notre dernier tanneur, est mort le 19 septembre 1924.

Nous venons de voir que la Lohmùhl actuelle date de la 2ème moitié du XIXème siècle. Il s'agit d'une construction massive réalisée entièrement avec des pierres en grès. Elle a dû coûter une fortune, quand on songe au nombre de voiturées qu'il a fallu à l'époque pour amener toutes les pierres depuis les Vosges. Les murs ont une épaisseur de 70 cm. En visitant l'intérieur du bâtiment, on peut encore voir l'ancienne arche du Katzensteg, ainsi que les deux vannes ; derrière l'une d'elles tournait la roue du moulin.

Le Katzensteg

Le pont voûté qui franchissait le Fossé des Tanneurs devant la Lohmùhl portait le nom de Katzensteg (1687). D'où vient cette appella­tion ? De prime abord, on peut penser à un endroit fréquenté par des chats, car, autrefois il y avait dans le coin un très grand nombre de ces animaux ; les habitants les élevaient pour lutter contre les rats; les rongeurs, attirés par les déchets des tanneries, proliféraient d'une façon incroyable, le long du fossé, et constituaient une véritable plaie pour les riverains.

En réalité, la dénomination Katzensteg n'a rien à voir avec la présence de chats, mais signifie dans le cas particulier une passerelle, un petit pont étroit où des chats peuvent encore passer. D'ailleurs, le mot Katz se retrouve dans d'autres noms de lieu du quartier. Ainsi, dans un document daté de 1916, le Fossé des Tanneurs est désigné sous le nom de « Katzenbach ».

Nous avons encore de nos jours le lieu-dit « Katzengarten », où, selon une vieille grand-mère, les chats se donnaient rendez-vous. Il y a enfin la « Katzegäss », la rue des Chats, où habitait, dans les années vingt, un barbier surnommé « d'r Kàtzeräsierer ». Ce dernier, de son vrai nom Lukas Willer, était célibataire et cultivait avec sa sœur Hélène quelques lopins de terre. Il exerçait sa profession de barbier uniquement le soir, après les travaux des champs, mais son rasoir était si mal affilé qu'il n'avait que des vieux comme clients.

La ruelle, qui traversait le Katzensteg, s'appelle de nos jours Lohmühlgass (Katzens-teeggässlein 1570; Gerbergasse sur le plan cadastral de 1893). Elle relie la rue du Moulin à l'ancienne « Brieligass », aujourd'hui rue des Serruriers (Brühligasse 1570; Brühlingsgasse 1601 ; Brühlygasse sur le plan cadastral de 1893 ; Brüligasse encore en 1916). Cette dernière était dénommée ainsi parce que jadis, où n'existait pas encore de pont sur l'Ill, les paysans empruntaient cette rue lorsqu'ils allaient faire la fenaison sur les vastes prairies du Brühly ; ce chemin menait directement à un endroit, où les attelages pouvaient traverser la rivière à gué. Parfois, des crues subites et imprévues de l'Ill empêchaient la rentrée des foins et les paysans eux-mêmes n'arrivaient plus à regagner leur logis.

Heureusement, il y avait à certains endroits du cours d'eau des passeurs qui conduisaient les personnes d'une rive à l'autre en bateau. Les ancêtres d'une famille ersteinoise, les « Kintze-Lisse »  ont exercé cette profession fort longtemps. A ce sujet, un détail mérite d'être rappelé : quand quelqu'un était mort au hameau de Krafft, où il n'y a pas de cimetière, les paysans transportaient le cercueil par voie d'eau jusqu'à Erstein.

Le Katzensteg dans la mémoire populaire.

Le Katzensteg était considéré comme un lieu hanté. « S'esch ünkir » disaient les gens. Jadis, une fois le crépuscule tombé, il régnait en cet endroit non éclairé, une ambiance plutôt sinistre ; on n'y entendait que le sifflement du vent et le clapotis de l'eau avec, par intermittence, le miaulement d'un chat, le chuintement d'une chouette, ou le grincement hésitant d'une girouette rouillée.

« Nöch Batglock », quand la cloche du soir avait égrené ses coups, les fantômes se déchaînaient et plus personne ne se hasardait dans le coin. Pendant les nuits tourmentées et sans lune, on risquait fort d'y rencontrer l'homme décapité portant sa tête sous le bras.

Il y avait aussi les sorcières qui, à minuit, se transformaient en chats et venaient rôder aux alentours du petit pont. Si un noctambule trouvait sur son chemin une de ces bêtes maléfiques, il devait sans tarder lui donner un bon coup de pied, non pas du pied droit, mais du pied gauche ; à ce moment, la sorcière sous son apparence de chat, perdait tout pouvoir et on pouvait la rosser sans courir le danger d'être ensorcelé.

Le forgeron du coin avait vécu cette aventure et n'avait pas oublié les recommanda­tions. Une nuit où il regagnait son logis, il aperçut un énorme matou noir (« Kätzeroller ») couché en travers du pont. Il lui flanqua aussitôt un coup du pied gauche, puis se mit à le battre violemment; finalement le chat arriva à s'échapper dans l'obscurité, en poussant un miaulement plaintif. Au petit matin, des habitants du quartier furent réveillés par les cris et les gémissements d'une voisine ; ils trouvèrent la vieille allongée sur son lit, entièrement nue et couverte d'ecchymoses. C'était une sorcière.

A vrai dire, les gens employaient rarement le mot de sorcières. Ils parlaient plutôt de méchantes femmes (« besi Frauie ») dont certaines utilisaient le « Geischtli Schild »pour accomplir leurs maléfices.

Ainsi on raconte qu'une telle s'évertuait à traire les pieds de sa table de cuisine pour soutirer le lait aux vaches du voisin. Telle autre vous jetait un sort si bien que vous trébuchiez sans cause apparente et, patatras, vous aviez une jambe ou un bras cassé. Une troisième fixait son « mauvais œil » sur les nouveaux nés pas encore baptisés et les rendait malades à mourir. D'autres enfin étaient capables d'attirer l'ouragan et la grêle qui anéantissaient les récoltes.

En général, il fallait se garder de donner ou de prêter quoi que ce soit à ces femmes et surtout ne rien accepter d'elles, sinon on risquait d'être à leur merci.

Près du Katzensteg, habitait aussi une petite vieille, aux sourcils noirs et drus, qui prétendait pouvoir guérir toutes sortes de maladies. Les traitements qu'elle préconisait étaient plutôt bizarres. Ainsi, à une femme qui était venue demander un remède pour son enfant souffrant d'incontinence urinaire noctur­ne (« s'Bettbrùnze »), elle donna le conseil suivant : « Tu vas attraper une souris et la dépouiller de sa peau ; ensuite tu la feras rôtir et tu la donneras à manger à ton fils le soir avant le coucher ».

Ces croyances et ces pratiques subsistaient encore, après la première guerre mondiale. Un témoin, digne de foi, cite le cas d'une voisine, qui, dans les années 30, plaçait chaque soir un balai renversé devant la porte de son étable ; elle pensait ainsi conjurer une prétendue sorcière qu'elle suspectait d'avoir provoqué les avortements répétés de sa chèvre. Le témoin qui nous a rapporté le fait a ajouté cette réflexion : « Haxe het's meischtens bi de arme Lit ga » ( les sorcières existaient surtout dans les milieux pauvres), c'est-à-dire là où les épidémies faisaient le plus de ravages, où enfants et bêtes mouraient par suite des mauvaises conditions d'hygiène et d'alimentation et où l'homme cherchait désespérément la cause de ces malheurs.

FOSSE DES TANNEURS GRABENMUHL LOHMUHL NIEDERMUHL MEUNIERS-TANNEURS Les TANNEURS-I Les TANNEURS-II LES CLOUTIERS
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