Voilà un métier qui depuis longtemps est tombé dans l'oubli et qui pourtant, autrefois,
nourrissait parfaitement son homme.
Nous avons découvert l'emblème de l'un de ces artisans sur le poteau cornier du Café
de l'Ours, au n° 5 de la rue du Moulin. Dans le cas particulier, cet emblème relativement
rare est symbolisé par trois clous disposés en éventail au-dessus d'un cœur. L'inscription
qui accompagne cet ornement indique la date de construction de la maison (1782)
ainsi que les initiales des noms des propriétaires primitifs : Jean-Paul Ferrenbach
et son épouse Marie Madeleine Louise Heym. Ce Jean-Paul Ferrenbach, né en 1730, a
exercé le métier de cloutier jusqu'à sa mort en 1807. Deux de ses fils ont choisi
la même profession. Fig : tableau famille - cloutiers
Quant à sa fille Marie Salomé, elle s'est mariée avec François Dominique G'sell,
un cloutier originaire de Kaysersberg. Ce dernier a certainement déployé une grande
activité, car, dès 1796 il est cité à de nombreuses reprises. Il prit la succession
de son beau-père et habita la même maison que lui. La preuve en est donnée par le
registre d'état-civil où l'on mentionne que «Marie Salomé Ferrenbach, conjointe de
François Dominique G'sell, cloutier, et fille de Jean Paul Ferrenbach, est morte
le 5 décembre 1831 au Quartier Verd, dans la maison n° 107 » ; cette habitation correspond
précisément à l'emplacement de notre Café de l'Ours.
François Dominique G'sell est décédé en 1833, à l'âge de 78 ans, tandis que son fils
Armand G'sell également cloutier, mais demeurant dans la maison n° 64 au Quartier
Verd, est déjà mort en 1828, âgé de 39 ans seulement.
Quel fut le sort de la clouterie ? D'après les matrices cadastrales de l'époque,
les autres enfants de François Dominique G'sell, qui étaient cultivateurs, ont vendu
en 1837 la maison et le bâtiment annexe à Joseph Jehl, cabaretier à Erstein.
Nous avons établi un second tableau où figure un certain nombre d'autres cloutiers
; il en ressort que cet artisanat s'est maintenu dans notre cité jusqu'à la fin du
XIXème siècle, époque à laquelle il a disparu sous la pression industrielle.
Les cloutiers (« Nagelschmied ») étaient en fait des forgerons spécialisés qui fabriquaient
des clous de tout modèle et de toute grandeur faits à la main. Ils étaient très estimés
par la population, notamment par les charrons, les charpentiers et même les forgerons
qui venaient s'approvisionner auprès d'eux.
L'atelier du cloutier comportait la forge proprement dite dont le feu était activé
par un soufflet, une petite enclume de forme assez particulière, des tranchets, des
moules et plusieurs marteaux spécialement conçus pour ce genre de travail. La dextérité
du cloutier était proverbiale. Il utilisait des tiges de fer très minces dont il
chauffait l'une des extrémités au rouge ; puis il forgeait des clous un à un, avec
une rapidité et une précision surprenantes. Aux personnes qui voudraient en savoir
plus, nous conseillons vivement de lire l'article paru dans l'Annuaire 1968 de la
Société d'Histoire et d'Archéologie de Molsheim, où l'auteur R. Rèbre décrit d'une
façon admirable le travail et l'habileté manuelle de cet artisan.
Détail original : le dernier cloutier d'Erstein avait dressé un chien pour actionner
une roue de bois large et légère, laquelle, à son tour, mettait en mouvement le soufflet,
à la manière des écureuils que l'on place dans une roue qu'ils font tourner en s'amusant.
Un jour des garnements eurent l'idée stupide de nouer à la queue du chien une ficelle
à laquelle ils avaient attaché des casseroles ; pris de panique, l'animal s'enfuit
à travers les rues en traînant après lui la batterie de cuisine qui faisait un bruit
épouvantable. On ne le revit plus jamais, de sorte que le pauvre cloutier fut contraint
de chômer le temps de dresser un autre chien.
Emblème de cloutier sur un poteau cornier de la maison n° 5 rue du Moulin (Café de
l'Ours) avec les initiales du nom des propriétaires primitifs: Jean Paul Ferrenbach,
cloutier. Marie Madeleine Louise Heym.