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13.08.2014

LA GRABENMUHL

Le moulin dit Grabenmühl, dont il ne reste plus de trace aujourd'hui, était situé sur la rive droite du Fossé des Tanneurs, à la hauteur de la rue du Vieux-Marché.

A quelle époque remontait ce moulin ? La réponse est donnée par un document daté du 8 novembre 1784, où Léonard Dùringer, meunier exploitant du moulin, affirme que ce dernier
 « a été construit, en 1695, que son titre est du 21 juillet 1694, ratifié par le Grand Chapitre, le 8 octobre, de l'année suivante ; le foulon à chanvre n'a à la vérité point été compris d'abord dans cette concession, mais il fut établi peu d'années après, puisque, dès le 12 janvier 1700, André Faerenbach s'est soumis à payer annuellement cinq sous de Canon pour ledit foulon, qui était pour lors déjà en état. Si le Grand Chapitre a été en droit de permettre à ce particulier de bâtir le moulin en 1695, il pouvait aussi l'autoriser cinq années après d'y ajouter un foulon ».

La Grabenmühl et le lavoir du pont de la rue de Strasbourg

Les meuniers de la Grabenmühl

1869 : Armand Comte propriétaire.

1879 : Armand Comte vend tout le complexe au tanneur Joseph Andlauer. Ce dernier transforme le moulin à farine en scierie et exerce désormais le métier de « Sàgemùller ».

Joseph Andres, que beaucoup d'Ersteinois se rappellent encore, fut le dernier «Sàgemùller». Né le 19 novembre 1878 au n° 48 Quartier Rouge, il était issu d'une lignée de menuisiers, les «SchotteSchriner». Devenu à son tour maître-menuisier, il se maria avec Sabine Schwartz (0 19.10.1877 à Wittisheim ; † 18.4.1930 à Erstein). En 1931, il épousa en seconde noce Marie Apolline Strub (0 15.8.1887  à Burnhaupt-le-Bas ; † 29.11.1978 à Erstein).

Son frère Jules Andres (0 20.7.1880 à Erstein ; † 18.2.1957 à Erstein) fut notre dernier constructeur de bateaux («Scheffbajer»). Le chantier couvert, où il assemblait les barques, existe encore sur l'île en face de l'ancienne filature du Brühly.

Joseph Andres mourut à Erstein le 26 novembre 1942. Sa veuve loua la scierie pendant quelques années à un nommé Spiess de Benfeld, puis la vendit en 1960, à la Commune d'Erstein, qui la fit démolir.

Le Fossé des Tanneurs fut comblé progressivement à partir de 1966. Quand on parle aux anciens du quartier, on sent que, pour nombre d'entre-eux, la disparition de ce témoin du passé fut un véritable crève-cœur ; à ce «Gräwe», s'accrochaient tous leurs souvenirs de jeunesse : les premières amourettes ; sans oublier les parties de pêche d'où l'on ne rentrait jamais bredouille ; car les poissons abondaient, non seulement les goujons ou les bardeaux, mais également les truites, et quelles truites !...

Il y avait- aussi le fameux « Holzplatz » où gisaient entassés des troncs d'arbres gigantes­ques, dans l'attente d'être débités en planches ou en madriers. Avec ses multiples coins et recoins, c'était naguère l'endroit rêvé pour les jeux de cache-cache et d'escalades. Lorsque ces amusements risquaient de prendre une tournure dangereuse, le Sàgemùller surgissait brusque­ment en rugissant : « Mäche jetzt däss'r Verschwende, er Lùser ! » (Voulez-vous déguerpir petits voyous!). Malgé son air bourru, ce grand gaillard avait le coeur sur la main. C'est ainsi qu'il récupérait avec soin la sciure de bois provenant de l'usine, pour la mettre gracieusement à la disposition des gens du quartier. Ceux-ci s'en servaient surtout pour... fumer le lard. Presque chaque famille possédait un fumoir (« Rauichkämmer »), c'est-à-dire un petit réduit attenant à l'âtre, où étaient suspendus les morceaux de lard et qui com- muniquait avec la cheminée par deux orifices munis chacun d'une glissière, permet­tant d'en régler l'ouverture. La fumée du foyer pénétrait dans le fumoir par le trou du bas et s'évacuait dans la cheminée par l'orifice supérieur. En cours de journée, les orifices étaient presque fermés pour éviter la dessication du lard sous l'effet de la chaleur ; par contre le soir, lorsque le feu s'atténuait, on les ouvrait au large ; en même temps de la sciure de bois étroit étalée sur la braise en couche assez épaisse, de sorte qu'elle se consumait lentement durant la nuit, en dégageant une fumée épaisse et abondante. Cette opération exigeait une certaine expérience.

La sciure provenant du bois de hêtre était particulièrement appréciée, car elle conférait au lard une saveur exquise. Pour que ce dernier soit bien fumé, il fallait compter trois semaines. Si on voulait le rendre plus friand, il suffisait de poser le dernier soir quelques brindilles de sapin ou de genévrier sur la sciure couvrant la braise.

Le premier « Grabenmüller » s'appelait André Faerenbach. Originaire de Woerth (annexe de Matzenheim) où il était meunier jusqu'en 1692, Faerenbach se fixa à Erstein et fît construire en 1695 le moulin dit Grabenmühl. En 1697, on le mentionne comme étant également meunier de la Krafftmühl, qu'il cède en 1698 à Jean Gemach.

Il est cité une dernière fois, en 1705, où la Fondation Collégiale Saint Pierre à Strasbourg prête a «André Ferebach, citoyen et Grabenmüller» 500 florins à 3% (Arch. de la Ville d'Erstein 1120).

1742 : Hanns Georg Löffler est en contestation avec le bourgmestre et la commune. (Arch. de la Ville d'Erstein DD96).

1770: le Grand Chapitre procède à une révision de ses biens à Erstein ; celle-ci est terminée le 13 septembre 1771. Sur la liste figure, Léonard Dùringer, Grabenmüller. Ce dernier, né en 1741, était marié avec une nommée Catherine Krüger (1765).

1783 - 1784 il y a litige entre Dùringer et trois autres meuniers d'Erstein (voir chapitre des contestations).

Dans le registre d'état-civil on retrouve encore son nom en 1793, 1796, 1799 et le 12 Brumaire An VIII (3 novembre 1800).

En réalité il ne s'appelait pas Dùringer ; la signature qu'il apposait aux actes était Lienhart Diringer.

27 Messidor An X (15 juillet 1802): Antoine Achtzehner, maître-meunier et propriétaire du moulin dit Grabenmühl. Né en 1769 à Fegersheim, il avait épousé Marie Ursule Fritsch, originaire de Nordhouse.

Dans un écrit daté du 4 septembre 1820, le sieur Achtzehner déclare que «son moulin appelé Grabenmühl est situé sur le fossé communal d'Erstein au Quartier Bleu n° 91 ».

Après le décès de sa première femme, Achtzehner se remarie en 1825 avec Marie Madeleine Ebert, fille de Jean Ebert, meunier à Erstein. En 1832, le meunier Ignace Hild est locataire de la Grabenmühl. Achtzehner meurt en 1833. Dix mois plus tard, sa veuve, née Ebert, épouse Georges Comte, un boucher ; mais elle garde provisoirement, à son nom, le moulin, dont le meunier Ignace Hild est toujours locataire ; entre temps, Comte change de profession pour devenir également meunier.

1838 : Georges Comte figure sur les matrices cadastrales comme propriétaire de la Graben­mühl. Il occupe au Quartier Bleu le n° 91 qui comporte maison, moulin, sol, bâtiments et cour. Ses fils Georges et Armand seront également meuniers. Armand Comte prendra la succession de son père.

Le lavoir du pont de la rue de Strasbourg.

En aval de la Sàgemühl, les eaux du fossé s'engouffraient, sous l'arche d'un pont, qui abritait un lavoir mémorable, dont la petite histoire mérite d'être rapportée.

Ce lavoir avait la particularité d'être suspendu à quatre chaînes coulissant séparément sur des poulies fixées à la voûte ; ce qui permettait de le manoeuvrer très facilement. Construit en 1874, il mesurait 7 m de long sur 2,40 m de large. Comme il se trouvait au milieu du fossé, il était possible de faire la lessive, aussi bien d'un côté que de l'autre.

Ah ! si ce lavoir avait pu conter tout ce qu'il avait vu et entendu durant son existence.

Le soir les lavandières apportaient chacune leur « Waschstùehl », en vue de se réserver une bonne place pour la lessive du lendemain. Mais, elles comptaient sans les « Lùsbùewe », toujours prêts à jouer un tour et, qui, après leur départ, s'approchaient en cachette, pour abaisser le lavoir au point de la submerger; de sorte que le courant emportait les planches à laver, l'une après l'autre, jusqu'à la grille de la Lohmùhl. Le jour suivant, les pauvres lavandières étaient obligées de repêcher à grand peine leur ustensile; leur dépit atteignait son comble, lorsqu'en revenant au lavoir, elles voyaient toutes les places occupées par des consœurs. Il s'ensuivait des disputes mémora­bles, au cours desquelles l'on en venait parfois aux mains pour «se crêper le chignon».

Mais les querelles étaient de courte durée, car le travail pressait. Agenouillées sur leur «Kneierla», les femmes se remettaient à l'ouvrage avec acharnement, frottant, rinçant et tordant le linge à tour de bras. Entre-temps, le « Waschwiwergschnatter » allait bon train ; toutes les nouvelles de la semaine écoulée étaient passées au crible et largement commentées. C'est pourquoi on dit encore aujourd'hui d'une femme bavarde : «Si het a Müll wi a Waschere» (elle jase comme une lavandière). A ce propos, il nous vient en mémoire une anecdote qu'une personne du quartier nous a rapporté : un jour, une passante aperçoit une lavandière occupée toute seule au lavoir ; ce qui était assez exceptionnel, elle s'arrête et lui demande avec compassion : « Awer Liwis, màcht d'r dann s'Müll net weh, wann du de gànze Dàj met nieme redde kànnsch ? »

(Ma pauvre Louise, n'as-tu pas mal à la bouche si tu n'as personne à qui parler ?).

Mais ne médisons pas trop de ces braves femmes qui, sous leur apparente rudesse, cachaient le plus souvent un cœur d'or. Elles se ressemblaient toutes avec leur « Bips » dressé sur la tête et leurs larges mains rouges et gercées, déformées par les rhumatismes. Leur visage résigné témoignait de l'âpreté du travail.

Le matin de bonne heure, le pavé résonnait sous les roues des brouettes sur lesquelles elles acheminaient la lessive au fossé. Pour parvenir au lavoir, il leur fallait descendre un escalier de pierre raide et étroit, en portant à bout de bras le lourd cuvier. Après une première lessive, elles ramenaient le linge à la buanderie (« Bùchkeche »), afin de le faire bouillir une nouvelle fois.

Elles effectuaient ces besognes par tous les temps et en toute saison. Si en été elles suaient à grosses gouttes, il n'en était pas de même en hiver, quand le fossé était gelé, et, où elles étaient obligées de briser la glace, avant de pouvoir travailler, tandis que leur tablier trempé se figeait sous le froid. De temps à autre, l'une d'elles allait chercher un baquet d'eau chaude, dans lequel elles plongeaient à tour de rôle leurs mains raides et crispées. Le dur labeur se poursuivait ainsi à longueur de journée et c'est avec impatience que les lavandières attendaient l'arrivée du printemps.

A la belle saison, le lavoir et ses alentours exerçaient une attraction irrésistible sur les enfants du quartier. Des fillettes arrivaient pieds nus, s'agenouillaient près des lavandières et lavaient les robes de leurs poupées ; tandis que d'autres, sagement assises au bord du lavoir, barbotaient dans l'eau ; ou bien, elles cueillaient des petites branches, les jetaient dans l'eau en amont du lavoir, puis couraient vite à l'autre bout pour voir laquelle des brindilles apparaî­trait en premier.

Le passe-temps des garçons était tout différent. Certains étaient couchés à plat ventre sur la rive et observaient avec émerveillement le manège des épinoches autour de leurs nids. D'autres s'amusaient à pêcher des « Blùetstaeher »; pour cela, pas besoin de ligne; un ver de terre pendu à un simple fil faisait l'affaire car, une fois que le petit poisson avait mordu, il ne lâchait plus prise.

En période d'eaux basses, les gamins descendaient dans le ruisseau et essayaient d'attraper à la main les « Kopa » et les « Steinbecker » cachés sous les grosses pierres ; les plus expérimentés s'aventuraient vers des endroits plus profonds, où se réfugiaient les truites ; inutile de dire que pour prendre celles-ci au filet, il fallait être vif et adroit.

Tout près de là, la scierie lançait des grincements aigus et saccadés. De temps en temps « Schotte-Schriner's Sepp » le Sàgemùller, s'accordait un moment de répit ; assis sur un tronc d'arbre, il s'épon- geait le front avec son tablier et regardait avec amusement toute la jeunesse, qui se démenait dans le ruisseau. Parfois, un démon le poussait à ouvrir brusquement les vannes de son usine; alors la crue subite des eaux provoquait un sauve-qui-peut général, tant des enfants que des lavandières.

Le soir venu, tout était calme et l'on n'entendait plus que le murmure de l'eau. Mais le lavoir n'avait pas encore de repos pour autant. A l'heure du berger, des couples d'amoureux venaient s'y réfugier et ne repartaient que tard dans la nuit. Alors, seulement le lavoir pouvait dormir, bercé par les flots incessants du Graben.

Dans le même écrit, Léonard Dùringer précise que le moulin est à trois tournants : deux tournants à farine et un foulon à chanvre ; mais il « ne peut jamais faire usage de ses trois tournans à la fois, car lorsqu'il se sert du foulon à chanvre, qu'on n'employé guerre plus de deux mois par an, il ne peut faire aller qu'un tournans à farine ; de même il est obligé de faire arrêter son foulon pour usage de ses deux tournans à farine ».

Enfin Dùringer signale qu'il « est chargé par son titre d'entretenir sur la rive droite de la Pleine Ill environ 20 toises courantes de fascines au-dessus de la prise d'eau dudit Canal à l'endroit appelé Börschheydt ; cette charge est établie depuis l'existence de la Grabenmühl ».

Bien que propriétaire du moulin, le meunier n'avait pas le droit d'utiliser la force hydraulique avant d'avoir acquitté le Grand Chapitre de la redevance en nature et en' argent.

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