Construire un bon bateau exige une technique plus difficile à maîtriser qu'il n'y
paraît. Comme nous l'avons vu, le bateau de bois à fond plat traditionnel était
fabriqué avec des planches de sapin ou de pin. Seul les courbes (« Range »), les
traverses du fond (« Noie ») et les seuils (« Schorbratt ») étaient faits en bois
de chêne.
Les courbes constituent les éléments de consolidation essentiels de la charpente.
Les façonner représente déjà un art en soi. Comme le bois du chêne se laisse difficilement
cintrer à la vapeur, les calfats recherchaient le bois naturellement tors de l'arbre
(« gewàchseni Range »). Après avoir sélectionné avec soin les parties coudées de
la ramure, ils les sciaient dans la forme voulue, en suivant la ligne d'inflexion.
Inutile de dire que cette opération demande un coup d'œil juste et sûr.
La technique de construction, telle que nous allons la résumer maintenant, était
la même depuis des siècles. Prenons comme exemple la fabrication d'une barque de
pêche.
Dans un premier temps, le calfat assemblait les planches du fond en clouant des
traverses espacées de 50 cm environ. Après quoi il procédait au cambrage des parties
avant et arrière en les assouplissant à la vapeur ; il effectuait l'opération à l'aide
de crics mécaniques (« Holzwinde »), le fond étand maintenu fermement sur des chevalets.
En même temps, il montait les cotés dont le cintrage se faisait également à la vapeur.
Les clous qui les maintenaient au départ étaient provisoires ; ceux qui les remplaçaient
définitivement étaient en fer forgé et enfoncés dans des avant-trous forés dans le
fond. L'artisan avait soin d'insérer une tresse de massette (« Knoschpe-zopfel »)
tout le long du joint, afin d'assurer sa parfaite imperméabilité. Ensuite il encastrait
avec précision les deux seuils. La fixation des courbes ne venait qu'en dernier.
Il fallait que chacune d'elle soit découpée avec une cambrure précise pour pouvoir
l'ajuster parfaitement à la coque.
Restait à réaliser la couture des joints du fond, tâche ardue et délicate, mais dont
dépendait l'étanchéité du bateau. Le calfat commençait d'abord par élargir le joint
en surface, en le rainant régulièrement sur toute la longueur avec une serpette
spéciale (« Rabmasser »). Puis il bourrait l'entaille avec de la mousse légèrement
humectée qu'il tassait ensuite à l'aide du bois à calfater (« Moostrûwel ») et du
maillet à mousse (« Moosklipfel »). Par dessus, il plaçait une tresse de massette
(« Knoschpezopfel »). Pour finir, il couvrait le joint d'une fine baguette de troène
(« Tintebeerle ») ou de cornouiller (« Hertreila »), en la fixant avec des cavaliers
(« Hàfte ») cloués à intervalles de 2 cm. Pour les bateaux construits en chêne tels
que les « Nachen » le calfat remplaçait les cavaliers par des nailles ou appes («
Froschle, « Schüeweblach ») qu'il imbriquait à la file comme les tuiles d'un toit.
A cet effet il se servait d'un fer à nailler (« Biejise »), dont l'une des extrémités
présente un tranchant en biseau. Pour fixer la naille, il pratiquait d'abord de
part et d'autre de l'entaille une incision en biais. Après avoir enfoncé l'une des
ailettes, il repliait l'appe par-dessus le fer à nailler à l'aide du marteau à nailler
(Sentelhàmmer »), puis fichait l'autre ailette dans l'incision du bord opposé.
L'artisan exécutait ce minutieux travail à la perfection avec une vitesse et une
dextérité étonnantes.
Chaque bateau ainsi fabriqué constituait une pièce unique qui réagissait avec une
sensibilité propre à laquelle le futur utilisateur devait nécessairement s'adapter.
A notre connaissance, il n'y a plus un seul constructeur qualifié dans la région.
Les barques plates que nous voyons aujourd'hui sur nos cours d'eau sont presque toutes
bricolées. Malgré leur apparence, elles n'ont plus rien de commun avec les bateaux
sortis des mains d'un maître calfat.