2013

La cité ouvrière de la rue du Général Leclerc à Erstein se compose de dix-sept maisons jumelles soit trente-quatre logements. Elles sont l'une des traces bien vivantes de l'activité de la filature de laine peignée d'Erstein qui a perduré de 1855 au 28 février 2002. S'il n'est pas le lieu ici de réé­crire l'histoire de l'industrie alsacienne en géné­ral, ni même celle de la filature en particulier, il est important d'en rappeler quelques événements fondateurs pour le cadrage de notre sujet.

  C'est en 1855 que s'installe à Erstein la pre­mière usine destinée à filer de la laine, créée par les industriels Frédéric Nifenecker et Henry Schlumberger (1817-1876), sur des terrains ap­partenant au baron Ernest Maximilien Zorn de Bulach (1786-1868). L'usine primitive s'installe au lieu dit Reebmatt, à proximité du château des Zorn de Bulach, qui sera détruit en 1882 . L'avantage de cette localisation réside avant tout dans la disponibilité de grandes surfaces, à proxi­mité de l'Ill, dont l'eau est nécessaire pour faire fonctionner l'usine et pour acheminer les matières premières. La filature devient alors le moteur éco­nomique, politique et social de la ville, notam­ment à partir de 1870 avec la nomination à sa tête des gérants Charles Alexandre Reichard (1822-1891) et Auguste Hartmann (1842-1891). Ceci est d'autant plus vrai que le premier de ces deux hommes sera nommé maire d'Erstein de 1881 et 1886. Grâce aux investissements entrepris, la filature devient l'une des plus importantes usines textiles d'Allemagne d'alors, employant envi­ron 500 person- nes en 1884 et 1400 personnes en 1911. Ses produits sont exportés jusqu'au Japon.

   C'est bien dans un contexte de développe­ment industriel, que Charles Alexandre Reichard et Auguste Hartmann décident d'implanter à Erstein une Cité ouvrière. La rue du Général-Leclerc
(Seilergasse entre 1870 et 1918) est alors dessinée dans le prolongement de l'actuelle rue des Cordiers, de l'autre côté du fossé des rem­parts (Sladtgraben), à proximité du lavoir dont les habitants pourront alors bénéficier. Cette rue est indiquée comme Neue Strasse sur le plan que nous conservons.


En ce qui concerne les propriétés foncières de la filature, nous nous sommes basés sur un plan datant de 1977 pour en établir l'état des lieux à un instant donné et essayer de comprendre la stratégie de l'entreprise dans ce domaine au cours des décennies précédentes : des équipements, des maisons de cadre et des villas, des terrains nus accueillant des jardins, répartis sur l'ensemble du ban, sont en effet proposés à la vente à cette date. Ce plan a été dressé par l'admini- strateur judiciaire suite à la faillite Schlumpf de juillet 1976 pour évaluer les biens de l'entreprise. Des recherches dans les archives nous ont permis de reconstituer l'histoire de la politique d'acquisi­tion et de maîtrise du foncier par les dirigeants de la filature.

Parallèlement à la croissance de l'acti­vité industrielle, l'entreprise acquiert des terrains et des bâtiments et renforce au fil du temps son in­fluence à l'échelle du territoire communal. Cette attitude n'est pas spécifique à Erstein : c'est une habitude des industriels que de développer des lieux de vie et d'habitat à proximité des lieux de production, dans une longue tradition paternaliste d'encadrement des employés.

Dans les livres de compte de la filature, en 1884, apparaît la mention de l'achat des terrains par la filature à des agri- culteurs, d'un montant moyen de 1 700 marks environ par parcelle. Ces dernières mesurent environ 4,6 ares par logement du coté nord et 5 ares pour le coté sud, portant la longueur de la rue à 200 mètres environ. Dès cette année là, ils projettent la création des six premières maisons doubles au sud de la rue et en confient la réalisation à l'entreprise locale de maçonnerie Willer et Wittenburg. Aucun nom d'architecte n'apparaît sur les plans de 1884 conservés des maisons de la Cité. Il est probable qu'ils aient été dressés par un service interne d'architecture de la filature, mais peut-être aussi ont-ils été confiés à un architecte en particulier, qu'il faudrait alors identifier par des recherches plus poussées dans les archives.faut par ailleurs noter que le nom de Maximilien Metzenthin (1843-1910), gendre de Charles Alexandre Reichard, apparaît dans le livre de compte de la filature de 1890.


La Cité ouvrière de la rue du Général Leclerc

un programme de la filature de laine peignée d'Erstein

La filature
Le terrain de l'usine
Plan d'implantation
Vue aérienne d'Erstein
1906

En ce qui concerne la qualité des locataires de la Cité, nous avons pu consulter le recensement de la population de 1909. Il révèle qu'à cette date, il n'y avait pas vraiment de règle relative au métier pour pouvoir prétendre à la location d'une de ces maisons : on y trouve de simples ouvriers, des contremaîtres, ou des représentants de professions techniques comme des personnels d'entretien de l'usine. Les maisons étaient alors louées pour un loyer mensuel de 10 marks, alors qu'un ouvrier en gagnait 60 pour son travail (les femmes étaient payées 38,50 marks par mois).

Toujours selon le recensement de 1909, on peut aussi voir que la plupart des occupants de la Cité sont originaires d'Erstein ou des alentours (Hipsheim, Sundhouse, Osthouse etc.), ainsi que du Pays de Bade. Bien sûr, le nombre de loge­ments dans la Cité était très insuffisant pour ré­pondre aux besoins croissants de l'entreprise. I.a plus grande partie des salariés habitaient dans le parc privé, à Erstein ou dans les communes avoisinantes.

Ces dix-sept maisons jumelles sont implantées régulièrement, en quinconce et en retrait par rap­port à la rue (à 1,50 m). Chaque maison possède une parcelle individuelle, selon une symétrie par­faite, et une adresse distincte.


A l'arrière, toutes ont une remise et un potager individuel. Elles répondent aux considérations de confort et d'hygiène de l'époque, favorisant la circulation de l'air, l'ensoleillement, et l'environnement rural. Ces maisons sont construites de manière sérielle, en brique essentiellement. Malgré l'économie de moyens qui prime alors, elles présentent quand même une modénature soignée, caractéristique, sur laquelle nous reviendrons, et qui renforce leur qualité patrimoniale. S'il est intéressant de considérer l'ensemble des maisons de la Cité dans cette démarche d'étude, de protection et de valorisation, c'est d'abord parce qu'elles restent propriété de la filature jusqu'en 1977.

 Jusque là, tous les travaux étaient décidés et financés par la filature. C'est ce qui explique les campagnes géné­rales de changement des clôtures, de réfection des façades, de changement des menuiseries, etc. Des témoignages d'habitants recueillis illustrent bien cette situation : la Direction de la filature aurait refusé dans les années 1970 l'aménagement d'une salle de bain à l'étage d'une maison, même si elle était réalisée aux frais des locataires. Cette gestion globale a pour conséquence le maintien d'une certaine homogénéité en ce qui concerne l'état et l'apparence de ces dix-sept maisons.

Disposition des maisons
de la Cité ouvrière
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