Mon Dieu ! Comment ai-
Vite, je saute dans mes galoches, j'enfile ma capote, le « revanche » par-
Il fait nuit. Complètement nuit. En cette saison le jour n'arrive pas bien à se lever. Alors à 6 heures du matin, c'est toujours l'obscurité.
Personne dehors. Même le croissant de lune est ailleurs. J'ai presque peur. Plus que la ruelle du monastère à traverser.
Voici l'Abbatiale illuminée. Comme c'est rassurant la lumière ! Comme c'est beau ! Erstein dort et pourtant, j'entends les orgues qui mugissent comme une merveilleuse tempête. C'est la Fête. Il ne fallait pas manquer cela.
J'entre. L'église est comble. Ma place habituelle est prise. Bon, je me glisse en sourdine, je reste dans le fond. Tiens, je ne vois pas la mère Issenhuet, ni Esther, ni Apolline, ni Philomène, ni le père Landolin. Il y a du beau monde que je ne connais pas.
Maintenant la grande procession se déroule dans l'allée centrale, elle va virer sous les absides.
Nonnes solennelles, clercs en rangs lents et serrés ; ils chantent tous, la tête rentrée sur les épaules, la coule ou le voile couvrant le visage, comme des pleurants sur la tombe de quelque grand-
Mais chante, Barbara ! Je reconnais tout de même le Dies irae, et j'embraye à pleine gorge avec l'assistance le chant de la sainte colère qui déborde en mélopées de belle terreur. On a beau ne pas savoir le latin, on sent tout de même que dans cet hymne il se passe des choses...
Au milieu de ces magnifiques angoisses mortelles, il se fait tout subitement le plus abrupt silence et la plus noire obscurité. Tout est comme coupé. Comme dans les histoires à faire peur, minuit égrène ses 12 coups. Le cortège, les orgues, les lumières, les gens, tout est reparti là d'où c'est sorti. Cette absence subite est terrifiante. La voix du vide.
Je me pince. Tout est réel. Je n'ai rien inventé. Les orgues sont rentrées dans la grande porte du silence. Le carillon est immobile là-
Et elle referma sa porte. Et ne put plus se rendormir.
On dit que l'office nocturne auquel Barwel a pu assister, c'est la grande pénitence à laquelle sont assujetties les moniales de l'Abbaye d'Erstein et quelques religieux aussi, en rachat de nombreux et méchants péchés commis de leur vivant, malgré leur sainte appartenance... jalousie, luxure, gourmandise, hypocrisie, soif d'influence, mensonges habiles et fausses façades, et des fautes qu'on n'imagine même pas et qu'on se cache à soi-
Jusqu'au Jugement Dernier ils auraient dû ainsi revenir dans leur vieux monastère, disparu aujourd'hui, mangé par les discordes, l'incompréhension, l'usure du temps, celle de toute chose. C'est comme si, une fois l'an, ils étaient tenus à l'assistance de leurs funérailles... Où vont-
Personne n'a interrogé Barbara. Personne n'a interrogé personne. On ne sait pas comment cette vision est parvenue, jusqu'à nous, en mars 1984. De cet Erstein impérial, de ce temps de faste et de gloire fondé par la reine Irmingard, il ne reste que la figure très stylisée d'une église sur les armes de la ville, trois ou quatre noms de rue, quai du Couvent, rue du Monastère, rue des Sœurs et, nous disent les archéologues, le cimetière des nonnes, sous l'actuelle, pardon sous l'ancienne Sous-
Sic transit gloria mundi.
Erstein, le 19.03.1984
Le rôle d'une revue historique ne se réduit pas à relater uniquement les exploits guerriers ou les faits et gestes des responsables politiques. Il lui appartient aussi de prendre en considération les activités culturelles, artistiques, littéraires. Celles-
L'étrange silence qui plane par exemple sur nos lettres s'explique sans doute par les interdits qui, au cours de l'histoire, ont tantôt frappé nos écrivains d'expression allemande, tantôt ceux d'expression française. On a rarement traité le sujet dans sa globalité et dans un esprit de tolérance. Les logiques nationalistes qui se sont plusieurs fois relayées chez nous, ont difficilement admis la présence de plusieurs langues. Les séquelles de ces luttes linguistiques restent plus ou moins perceptibles chez bon nombre de nos compatriotes.
Notre province avait fait une longue carrière dans les lettres germaniques durant un millénaire. Même en étant rattachée à la France, elle n'a cessé de rester fidèle à ses parlers ancestraux. Elle a continué à se servir du dialecte et de l'allemand aussi bien dans la vie courante que pour ses besoins littéraires.
Ce n'est qu'au lendemain de la deuxième guerre mondiale que nous enregistrons une rupture significative se soldant d'une part par l'abandon du hochdeutsch et la mise en veilleuse de l'alsacien. Et d'autre part par l'adoption accélérée de la langue nationale, avec d'autant plus de zèle que celle-
Aujourd'hui, le français se taille la part du lion face à l'allemand réduit à la portion congrue. Denise Rack-
Mais connaissez-
Elle aimait les "orchidées et les fleurs de pommier", elle aimait la peinture, la musique, les voyages, elle aimait Erstein, elle aimait la jeunesse, le soleil et la vie...
Elle était notre Soleil...
Elle est partie le 13 janvier 1998, jour de l'anniversaire de son petit neveu, Vivien pour qui elle avait immortalisé l'histoire de "Bouzou ", le petit singe et "Can-
Elle est partie par une froide journée d'hiver, sans soleil...
Denise, Marie, Marguerite était née le 9 juin 1912, jour de la Fête Dieu à Rhinau, fille de Jules Salomon, né à Bollwiller en 1882 et de Marguerite Heim-
En 1917, elle quitte Rhinau pour s'installer avec ses parents à Erstein dans la maison de son Grand-
Elle passe sa scolarité à l'école primaire d'Erstein, puis à Notre Dame de Sion à Strasbourg où elle obtient la baccalauréat à 17 ans.
Elle s'inscrit ensuite à l'Université de Lettres Françaises et Allemandes de Strasbourg où elle rencontre, Adrien Rack qui y suit des cours d'Allemand. Il est né en 1900, a fait ses classes à Saint Cyr, et est Capitaine d'Infanterie Coloniale. Ils se marieront le 5 juillet 1933 à Erstein.
Elle suivra son mari dans ses diverses mutations, Sarralbe, puis Alger, où il est nommé Aide de Camps du Général Nogues, ils y séjourneront de 1933 à 1936, enfin, l'Indochine, de 1937 à 1939, Nhatrang, Kontum, Hué, Saigon, et Vinh où le Capitaine décédera à l'äge de 39 ans, le 22 décembre 1939, il est enterré à Vinh et son corps ne sera jamais rapatrié, malgré la volonté de son épouse, désireuse de le faire reposer à Erstein.
Denise Rack-
Le dernier paquebot, l'Athos II, appareille de Saigon le 22 janvier 1940 pour Marseille, avant l'arrivée des Japonais. Arrivée à Marseille, dans une France en guerre, elle regagne la maison familiale d'Erstein qu'elle ne quittera plus. Elle se réfugie alors dans les études. S'inscrit à l'Université de Strasbourg et obtiendra une agrégation de Lettres et un doctorat en langue Allemande.
Pendant la guerre, elle verra partir ses deux frères, qui rejoindront la Faculté de Médecine de Strasbourg, réfugiée à Clermont-
Son père, Jules Salomon décède le 2 mai 1943 à Erstein, sa mère bien plus tard en mars 1981 à Erstein où ils reposent tous deux.
Elle occupera un poste de professeur d'Histoire de l'Art à l'Ecole des Cadres de Strasbourg, donnera des cours de piano, fera d'innombrables voyages dans de nombreux pays, Egypte, Pays du Maghreb, Grèce, Crête, Turquie, Israël, la Yougoslavie, l'Inde, Ceylan... Sauf la Chine qu'elle aurait tant aimé visiter "mais la Chine on n'y va pas seule..."
Sa carrière de poète et d'écrivain débutera en
1956 : par la traduction du roman allemand d'Ursula Bruns LA FILLE DE DINAH,
1967 : LA DANSE IMMOBILE, pour lequel elle obtiendra le Prix Saint Exupéry,
1969 : MILLE MAISONS dédié à son amie Anne-
1971 : SCABIEUSE dédié à "Muriel pour ses 5 ans",
1972 : LUNDI JE PARS A GANDHARA, dédié à ses deux frères Fred et Jean,
1976 : LE CHEVAL DE FEU,
1978 : DEUX OU TROIS GOUTTES DE SOLEIL,
1985 : ELLORA,
1990 : FLAMBOYANCES, et
1994 : INDOCHINE -
Elle publiera également des poèmes dans l'Anthologie des Poètes ainsi que de nombreux articles de presse, organisera plusieurs expositions de peinture.
Sa vie fut remplie de voyage, de peintures et de soleil,
Elle aimait, les "orchidées et les fleurs de pommier"
Elle nous aimait...
Extrait de SCABIEUSE, édité en 1971
LE PAYS IMMOBILE
Pays immobile, je te connais pays silencieux et transparent je sais te pratiquer lieu de ma solitude, je te reconnais. Miroir d'eau peuplée de plantes aux lentes branches qui bougent un peu roseaux fanés avec des nids effilochés qu'un vent d'orage finira de ruiner. Le tronc si vieux d'un très vieux saule tellement rongé qu'on peut y entrer, parfois le cri rauque d'un couple de ramiers qui se posent un moment sur l'épaule d'un orme ou d'un peuplier avant de repartir au sud vers Malaga Marrakech ou Tanger.
A l'horizon le Rhin gris large et régulier qui charrie des péniches, des rêves, et des paix oubliées...Pays immobile, tu sais m'abriter sous ton ciel léger et parfois, mieux qu'à un homme j'ai pu te confier ma longue peine et, cette espérance tronquée qui me tiennent lieu de félicité.
(fait à Daubensand)
AUTEUR :Denise RACK-
Publié par la S.H.Q.C. tome 2
La procession des repentirs
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Première journée de vrai beau temps. Un ciel sans une bavure, absolument bleu et vierge. Même les plus diaphanes peintures n'en ont un tel. La forêt du Kritt s'éveille. De loin elle est déjà un peu verte. C'est la sève nouvelle qui remet tout en branle. Dans une petite semaine les peupliers feront sauter leurs bourgeons ; déjà les saules dorés et les noisetiers offrent au jeune soleil leurs pendeloques qui sentent bon le miel.
Nous respirons tout cela. Nous en parlons, nous préparons aussi nos tout premiers surgeons.
Quel dommage que la petite route rhénane entre Krafft et Eschau soit livrée aux autos débridées. Nous longeons prudemment l'extrême bord, les chemins ne sont plus faits pour les piétons, ni pour les vélos.
Or, voici que vient resurgir dans notre tête la légende ou le récit de l'origine de N. D. du Chêne, unsere liebe Frow zur Eych, lieu très visité et très honoré par les gens d'alentour, Erstein, Gerstheim, Plobsheim, Eschau, Nordhouse et d'autres.
C'est rustique, c'est vert, c'est calme. C'est priant.
Un jour, un jeune hobereau chassait par là. C'est giboyeux : il reste du chevreuil, du faisan, du canard, mais guère de sanglier.
Notre cavalier, appelons-
Finalement, les blanches tourterelles s'arrêtent sur les branches d'un chêne majestueux, bien ramifié, haut, dressé vers la lumière. Le chêne aime et recherche la lumière, là-
Or, voici au creux d'un embranchement une image de la Vierge portant sont Enfant Jésus. Le Seigneur Materne n'eût pas à réfléchir longtemps, il comprit qu'il lui incombait de faire ériger ici même une chapelle où Marie serait vénérée. Ce qui fut fait, et bien fait.
Car jusqu'à ce jour « on » vient là, on reste un moment, on récite un Ave, on confie peut-
Mars 1984
La maison que j'habite est tricentenaire. 1674 dit-
Non seulement tricentenaire, mais très habitée. Et si vous voulez tout savoir, elle a un fantôme. Un vrai. S'il est vieux ? Sans doute, puisque tout ici est ancien, même moi, mais l'äge n'a sur lui aucune prise. Il persiste dans ce qu'on appelle la belle maturité. Non seulement insubmersible le fantôme, mais plein de prestige. C'est un évêque, vêtu en évêque... moire violette qui bruisse quand on marche, grosse bague, quelque chaîne en or au cou, et tout.
Lorsqu'il se montre, ce qui est rarissime, il hèle et appelle du doigt. S'il hèle ainsi une jeune personne, on assure qu'elle restera fille, comme figée par un sort. Je monte souvent dans mon grenier aux larges madriers qui supportent une toiture imposante. Je voudrais le débusquer mon revenant, mais hélas les fantômes sont indociles. Pourtant, certains soirs il y a là-
« Il » est sans doute reparti. Je ne vois que la cheminée de biais, et la forte pente du toit qui dort.
Non seulement tricentenaire ma maison, mais visitée, une fois l'an. Très précisément le jour, ou plutôt la nuit de la Saint André. Cette nuit-
On dit que, les nuits de brume, elle vient aussi. Mais alors tout est estompé, enfoui, beaucoup plus étrange, un peu angoissant.
Je tiens ce conte vivant d'un aveugle qui le faisait vivre et vibrer. Il vous prenait la main, la reconnaissait -
Maison sise 4, quai du Château.
Erstein, 15 mars 1984
Erstein et son abbaye
Vieilleries vivantes
Notre-
Auteur : Muriel RIETSCH
Publié par la S.H.Q.C. tome 16