LES  RIVIERES  ET  CANAUX  DE  LA  REGION  D’ERSTEIN

auteur : Frédéric BISCHOFF  †

publié par la S.H.Q.C. Tome 21

I - GÉNÉRALITÉS : SITUATION

La ville d’Erstein, avec son territoire qui s’étend du Rhin jusqu’à la Scheer, occupe une position particulière au point de vue hydrographique. Ses forêts et la plaine de l’Ill sont sillonnées par de nombreuses rivières naturelles et des canaux creusés à main d’homme.

D’après la législation actuelle, on peut distinguer deux grandes catégories de cours d’eau : les cours d’eau non domaniaux et les cours d’eau domaniaux. La première catégorie est propriété des riverains qui, légalement, doivent subvenir à l’entretien mais détiennent en contrepartie le droit de pêche.

Les cours d’eau du domaine public fluvial sont propriété de l’Etat qui assure l’entretien et qui détient le droit de pêche. Dans notre région, les cours d’eau sont gérés soit par le ministère de l’Equipement - Service de la Navigation (Rhin et canal du Rhône au Rhin) ou par le ministère de l’Agriculture - Service du Génie rural, des Eaux et des Forêts (Ill et dépendances).

Dans le passé, Erstein était un site privilégié pour les pêcheurs. Un bon nombre de familles tirait ses ressources principales des produits de la pêche effectuée à la nasse et aux filets. Mais la pollution des eaux du Rhin et de l’Ill au XXe siècle a diminué considérablement les récoltes piscicoles et, de ce fait, la pêche comme activité principale est complètement abandonnée.

II - L’AMÉNAGEMENT EDF

L’étude de la 8e chute EDF sur le Rhin, celle de Strasbourg, a posé de sérieux problèmes aux ingénieurs chargés de la mise au point des plans, devis et autres pièces nécessaires à l’exécution. Parmi eux, le canal de décharge occupait la première place. Comment amener un débit de pointe de 580 m3/seconde dans le Rhin endigué avec un plan d’eau surélevé de plusieurs mètres ?

La réponse à la question n’était pas facile. Allait-on creuser un nouveau canal entre le barrage de Plobsheim et le bief aval de la chute de Strasbourg ? Solution envisagée mais rejetée catégoriquement par le Port Autonome de Strasbourg. Pompage ? Solution illusoire, trop onéreuse, non retenue par EDF.

L’idée d’un bassin en communication directe avec le Rhin, qui absorberait la chute du barrage de Plobsheim et une partie de celle du barrage à aiguilles, prit forme et fut retenue par les instances d’EDF.

LE BASSIN DE COMPENSATION DE LA CHUTE DE STRASBOURG

Le Bassin de compensation de la chute de Strasbourg, tel fut son nom définitif, aurait un triple rôle à jouer :

- amener les crues de l’Ill directement dans le bief amont de Strasbourg ;

- permettre à EDF, liée par des accords internationaux, de stocker des surplus de débit demandés à certaines centrales pendant les heures de pointe de consommation électrique et de restituer ces débits progressivement en aval de Strasbourg, sans changer le régime du Rhin ;

- permettre l’installation de bases nautiques ou de plaisance à proximité de Strasbourg.

Il est certain que l’aménagement de ce bassin a eu des suites considérables sur le comportement du canal de décharge dans sa partie aval.

En premier lieu, la longueur du canal a été ramenée de 8,5 km à 4,9 km. Toute la partie aval est interceptée par le bassin, l’ancien lit comblé, la digue rive gauche renforcée et placée sous la compétence d’EDF et non plus sous celle du Service du Génie Rural. Le barrage de Plobsheim est totalement supprimé, les prises du Mühlgiessen, de l’Altrhein et de la Thumenau modifiées et calibrées pour des débits précis, tels qu’ils sont prévus dans les textes réglementant l’alimentation du Rhin Tortu vers Strasbourg et de la branche aval du canal d’alimentation vers l'Ill. Un contre-canal de drainage rive gauche collecte les eaux de la nappe phréatique et les rejette dans le bief aval de Strasbourg.

Un contre-canal rive droite intercepte les anciens bras du Rhin et le Langgiessen et conduit leurs eaux vers un siphon double (2 x 1,96 m de 0) de 750 m de long, passant sous le bassin de compensation pour se jeter dans le contre-canal rive gauche cité plus haut.

La mise en place du Bassin de compensation a également modifié la partie aval de la Zembs. Le relèvement du plan d’eau de 1,30 m ne permettait plus le déversement de cette rivière dans le bassin. Les eaux sont dirigées dans le contre-canal rive gauche par un siphon double (2 x 1,0 m de 0) passant sous le canal de décharge de l'Ill, à 900 m en aval de Krafft.

Parallèlement aux travaux préparatoires consacrés par EDF à la réalisation du bassin de compensation, la Direction Départementale de l’Agriculture du Bas-Rhin a fait procéder à une étude afin de porter la capacité du canal de décharge à 1 000 m3/seconde (crue millénaire). Ce projet consiste au reprofilage du canal entre Krafft et la queue amont du bassin EDF et à la suppression du barrage à aiguilles actuel et la construction d’un nouveau barrage à l’entrée du bassin de compensation. Les travaux de génie civil du nouveau barrage et les travaux de reprofilage du canal sont exécutés et ont nécessité une dépense de 6 018 860 francs.

Pour achever les travaux tels qu’ils sont prévus, il faudra engager une dépense supplémentaire de l’ordre de 8 500 000 F à la charge du ministère de l’Agriculture.

SITE ET FAUNE

La réalisation du bassin de compensation d’une superficie de 620 ha a causé le déboisement d’une partie de la forêt de Sommerley, propriété de la Ville d’Erstein, de la commune de Nordhouse, de la commune de Plobsheim et de quelques forêts privées. Toute chasse étant interdite sur le plan d’eau, celui-ci est devenu un havre pour les oiseaux aquatiques, surtout en hiver, avec la migration de la sauvagine venant des pays nordiques. D’autre part, l’absence de toute navigation avec des bateaux à moteur favorise le développement de la faune piscicole d’autant plus que le bassin est en communication directe avec le Rhin, le canal de décharge, le canal d’alimentation et les ruisseaux phréatiques qui se jettent dans ce dernier.

III LA MISSION DU SERVICE DE L’ILL

Après ce rapide tour d’horizon sur les rivières et canaux de la région d’Erstein, le lecteur peut se demander comment fonctionne cet ensemble hydraulique qui cherche son pareil : la gestion et la surveillance sont confiées au Service de l’Ill implanté à Erstein, organisme public dépendant directement de la Direction Départementale de l’Agriculture du Bas-Rhin et alimenté par des crédits d’Etat ouverts par le ministère de l’Agriculture. En plus, ce service est chargé de la direction technique des syndicats fluviaux existant dans les environs immédiats.

La mission est donc double, d’une part assurer l’entretien des cours d’eau, des berges, des barrages, des bâtiments domaniaux du service et, d’autre part, faire fonctionner l’ensemble hydraulique à la satisfaction des utilisateurs et sans dommages pour la population du secteur.

Des textes (ordonnances, arrêtés) indiquent la marche à suivre et des consignes particulières pour certains agents règlent d’une façon précise toutes les manoeuvres à exécuter sur les barrages en eaux normales et en cas de crues. De plus, lors des hautes eaux un tableau des consignes d’annonces et de transmission des cotes lues aux échelles limnimétriques est applicable à l’intérieur du service et vis-à-vis des services voisins (Navigation, Equipement pour les routes, Protection civile pour les habitations ou autres biens publics).

Afin d’avoir un aperçu permanent sur les niveaux d’eau de l'Ill ou d’affluents importants, le service entretient 16 stations limnimétriques lues journellement par un observateur, certaines sont lues matin et soir. Les plus importantes des stations sont équipées d’appareils enregistreurs appelés limnigraphes, qui donnent sur une feuille le graphique des variations pendant huit jours. Ces feuilles sont changées à des heures fixes afin de garantir un enregistrement continu.

Il est envisagé d’installer, au courant de l’année 1978, un ou deux limniphones, appareils relevant par flotteurs les variations de niveau et les enregistrant sur bande magnétique.

Ces installations, fort coûteuses, sont reliées aux réseaux électrique et téléphonique. On peut les appeler comme un abonné ordinaire au téléphone et au moment de l’appel l’appareil fournit la cote instantanée et les cotes enregistrées sur plusieurs heures auparavant. Il est donc facile de suivre l’évolution de la crue ; on estime les débits par des courbes “hauteurs- débits” établies par tarage de l’échelle (mesure de débits effectuées à des hauteurs d’eau différentes).

Ces appareils, dont l’installation s’est poursuivie dans tout le bassin versant du Rhin, ont donné des renseignements précis sur les crues du fleuve et ont été d’une utilité économique certaine, soit pour la production en énergie électrique, soit pour la navigation, soit pour la protection des pays riverains.

Revenons à l’Ill à hauteur d’Erstein pour voir comment se fait la séparation des eaux au point de départ du canal de décharge. Le principe est simple et fonctionne actuellement comme suit :

-jusqu’à 25 m3/seconde la totalité du débit est maintenue dans l'Ill qui l’achemine à travers Erstein et le dirige sur Strasbourg. Ce débit ne doit pas être dépassé afin de garantir un rendement correct des centrales hydro-électriques et un bon fonctionnement des stations d’épuration des eaux usées implantées récemment sur l’Ill :

- tout débit excédant les 25 m3/seconde est dirigé dans le canal de décharge qui l’évacue vers le Rhin par l’intermédiaire du bassin de compensation décrit plus haut.

Deux barrages assurent cette “sélection” :

- le barrage de fermeture sur l’Ill (dit Steinsau),

- le barrage en tête du canal de décharge (dit Boerschey).

Le niveau d’eau du bief de l’Ill en amont de ces ouvrages doit être maintenu dans une certaine fourchette dont la cote minima et la cote maxima sont transmises par ligne électrique au logement de service du garde-barragiste. Un signal sonore et lumineux indique qu’il s’agit de la cote haute ou basse qui est atteinte. Cet agent se rend alors sur les lieux et effectue les manœuvres des vannes nécessaires en jouant sur les deux barrages. Il arrive qu’en période de pluies cet agent est obligé de se déplacer plusieurs fois dans la journée ou la nuit. Toute manœuvre effectuée sur les vannes du Boerschey est immédiatement signalée au garde-barragiste de Krafft par ligne téléphonique interne. Ce dernier dispose d’un laps de temps relativement court pour retirer ou replacer les aiguilles suivant le cas afin de ne pas créer des surélévations de niveau nuisibles aux rives. Des manœuvres secondaires sont à effectuer pour l’alimentation de certains bras de l’Ill à l’intérieur d’Erstein.

Ces manœuvres de “routine” prennent des dimensions plus importantes lorsque les observateurs de certaines stations limnimétriques font des annonces de crues dès que les niveaux d’alerte sont atteints ou dépassés à l’échelle donnée. Ces annonces se font à huit heures et seize heures et permettent au responsable de service d’envisager les dispositions à mettre en place pour l’évolution normale de la crue. Les stations suivantes donnent téléphoniquement les cotes lues à l’échelle : la Fecht à Guémar, l'Ill à Illhaeusern, la Liepvrette à La Vancelle, l'Ill à Kogenheim, la Bruche à Wolxheim ; cette dernière station pour la protection immédiate de Strasbourg et pour permettre au service de l'Ill de diminuer, le cas échéant, le débit du canal d’alimentation de l'Ill en aval d’Erstein, afin de ne pas cumuler trop d’eau à l’entrée sud de Strasbourg. Le débit total de l'Ill, en amont du confluent de la Bruche, ne devant pas dépasser 45 m3 à la seconde (l'Ill + Andlau + Ehn + canal d’alimentation).

Les renseignements fournis par les stations en amont d’Erstein commandent les dispositions à prendre dans les délais plus ou moins longs. C’est ainsi que le temps d’écoulement des eaux entre Illhaeusern et Erstein, de 30 à 34 heures, permet de prévoir assez à l’avance les mesures à prendre, tandis que le temps d’écoulement de 10 heures entre Kogenheim et Erstein impose des manœuvres immédiates. Pour l’exécution de toutes ces mesures, il faut donc une présence presque permanente et la possibilité de rappeler les équipes à toute heure.

Au courant des années 1970 à 1978, cette tâche a été rendue plus facile par l’attribution de véhicules de liaison équipés de radio-téléphone. Aussi un certain nombre d’agents s’est abonné au téléphone public, ce qui a beaucoup facilité les rappels ou les consignes à donner.

IV  CONCLUSION

Le bref exposé sur la mission du Service de l'Ill serait incomplet sans y mentionner la surveillance constante et l’exécution adéquate des manœuvres de vannes sur le réseau hydraulique en aval d’Erstein, soit pour donner le complément en eau à l'Ill afin de garantir une production régulière d’énergie électrique aux centrales installées entre Erstein et Strasbourg, soit pour assurer l’alimentation correcte du réseau du Rhin Tortu à travers les faubourgs sud de Strasbourg. Toutes ces manœuvres forment un tout indispensable à la vie quotidienne de la région concernée.

Canal de décharge de l’Ill, barrage de Plobsheim (vue aval) avec passe de décharge H.E. avant aménagement par EDF.