Un matin de décembre 1944, je remontais avec des copains la rue des Cordiers précédemment Horst Wessel Strasse, actuellement rue du Général Leclerc. Le Général Leclerc avait son P.C. dans cette rue, actuellement la maison Andres. Il passait plusieurs fois par jour, seul (sans garde du corps) allant à son quartier général qui se trouvait dans la même rue, la maison Vogel (2). Cette maison abritait également les relais de transmissions radios à longue distance.
Passant avec sa canne légendaire, il répondait aux bonjours des gens qu'il croisait. Revenons à mon anecdote, comme couvre-
Le général me dit : je te remercie jeune homme, c'est bien. Mettant sa canne dans la main gauche, il me serra la main. Vous pouvez me croire, que c'est avec fierté que je lui répondis : merci mon général, me gratifiant d'un sourire, il continua sa route.
Depuis deux jours on entendait le grondement au loin des canons. Nous campions avec nos voisins (familles Kurtz, Kopff, Thurnreiter et Sutter) dans la cave de la maison Vogel. Dans la nuit du 27 au 28 novembre 1944, cela devient plus sérieux. On parlait d'une proche libération. Les adultes se tenaient au courant par les informations captées sur un poste clandestin. Les civils allemands qui occupaient des postes administratifs à Erstein avaient comme disparus. Quelques militaires allemands se préparaient également à un hypothétique repli. Peu de temps après, les magasins d'alimentation de l'armée allemande furent dévalisés par la population. Ces stocks se trouvaient à la filature et aux cours complémentaires (4). Il parait qu'on voyait passer des hommes qui jouaient au cerceau avec des meules de gruyère (ce sont des "on-
La nuit qui suivait, vers minuit, mon père m'avait emmené au grenier de la maison Vogel, maison désertée par le staff allemand (c'est la plus haute maison d'Erstein). De là-
Le lendemain, avec des copains, nous sommes allés en ville. Le centre grouillait de monde, civils étonnés et heureux ainsi que des militaires français attentifs et soucieux. Nous avions basculé dans une autre époque. Il y avait également les engins de guerre blindés gros et légers, et surtout des jeeps. Cette jeep qui m'avait laissé une drôle d'impression, une impression de bagnole caisse à savon.
Les pompiers avait fini d'éteindre l'incendie d'une belle maison alsacienne (actuellement Hoch). Dans la cour de la brasserie Klotz on avait déposé les corps de soldats allemands. La population était en liesse, pour nous les jeunes une nouvelle ère allait commencer... Observation d’engins militaires, armes, schwingum , etc. Tous ces flashs étaient trop rapides pour que je m'en souvienne. Il y avait beaucoup de bon mais également du morbide. La page noire de notre libération fut l'ingérence d'un sous-
Le matin du 24 décembre un officier et des militaires viennent chercher mon père et l'emmènent à la maison Vogel. Midi à table motus et bouche cousue. Mon père est muet comme une carpe devant les questions de ma mère. Après le déjeuner, branle bas de combat autour de l'armoire à linge. Draps taies d'oreiller le nec plus ultra pour un lit-
L'aller-
Le soir au dîner, mon père lâche le morceau : le Général De Gaulle est en face, il a la grippe et mon père est le garant de son bon confort. C'est pour cela que je peux dire que De Gaulle a couché dans nos draps. A 17 heures, l'église était noire de monde. J'étais à la tribune de l'orgue, donc aux premières loges. Puis le Te Deum résonna quand avancèrent dans l'allée centrale le Général De Gaulle, le recteur Lux, le maire J-
Pendant le cantonnement de la 2ème D.B. à Erstein (5 semaines après la libération) ma chambre était occupée par le Lieutenant Guibé avec son ordonnance Henri Henriette. Le lieutenant était chef du " P.C. avant " du Général Leclerc. Tous les matins son état major tenait une réunion dans notre salle à manger. A cette occasion ma mère leur faisait du café, mon père leur offrait la mirabelle qu'ils appréciaient beaucoup.
Le Lieutenant Guibé était juriste à Orléans. J'ai fait des recherches lors du 50ème anniversaire de la Libération. Je l'ai retrouvé et lui ai écrit. Il m'a répondu, c'était un homme très âgé et malade. Son décès est survenu quelques temps après.
Durant toute cette période, il y avait un char "Scherman" sous la fenêtre de ma chambre. Un matin, le mécano me demanda de l’aider à nettoyer totalement l'intérieur de ce char. Vu ma taille, je pouvais accéder à l'intérieur à tous les recoins. Ce char "TAILLY" était le char de commandement du Général Leclerc. La tourelle était désarmée, le canon était fictif. L'intérieur était peint en blanc avec une table et des cartes. J'ai ramassé un tas impressionnant de cartes d'état-
Cette grande bâtisse servait pendant l'occupation en premier lieu de "Kreisleitung", genre de préfecture où se pavanaient à longueur de journée des "Goldfasanen" (faisans dorés à cause de leurs uniformes de la même couleur). Puis ce fut la demeure de Mme et M. Hermann, un allemand et directeur de la filature sous l’occupation, et leur fils Ady Merx, un chiant, à qui je devais construire des maquettes d'avion et de chars en carton à longueur de journée. La famille Merx était très avenante et correcte. M. Merx ne manquait jamais l'occasion de parler le français avec ma mère, un français qu'il maîtrisait très bien. Pour nous, parler le français était strictement interdit. Revenons à nos caches, il faut savoir que tout ce monde là se déplaçait journellement sous un immense drapeau français caché sous la poutre maîtresse du grenier.
Dans la cave, sous l'escalier d'entrée, mon père avait aménagé une cache secrète (3x3 m). Il y avait entreposé toute l'argenterie, la cristallerie et les porcelaines et marbres de la famille Vogel qui avait dû quitter les lieux avant l'invasion allemande
Après les hostilités, au retour des Vogel (3), la cache fut ouverte en présence de Mme. et M. Vogel et de ma mère, ainsi leurs biens leur furent restitués. Une anecdote : une fois les premières pierres descellées, le couvercle d'une caisse en bois céda et une sculpture en marbre d'un buste de jeune fille tomba et se fragmenta. Lors de mon mariage la famille Vogel nous a fait cadeau de ce buste en marbre blanc qui subit auparavant une belle restauration. Il trône aujourd'hui sur un meuble de la salle à manger. Une autre cache se situait sous le toit au bas d'un appentis. Il y avait là des caisses remplies de partitions de musique, Marseillaise, Sambre et Meuse, etc. et tous les chants patriotiques. Comment se trouvaient-
Mon père était donc affecté à l'entretien de cette villa. Lors du passage de la Kreisleitung il y a eu dans tout le canton un ramassage forcé des partitions françaises auprès des harmonies, cliques et chorales. Tout ce matériel était amené à la Kreisleitung. On adjoignit à mon père un militaire qui devait l’aider à brûler tout ce "welcher blunder " dans la chaufferie du bâtiment. La première heure, ils brûlèrent quelques futilités et mon père renvoya ce militaire qui s'embêtait et qui était bien content de quitter les lieux.
Une fois seul et dans l’urgence mon père tria et empaqueta toutes ces partitions. Il attendit la nuit pour déplacer cette cargaison dans une cache sous le toit. Et c'est ainsi qu'à la libération il prévint toutes les sociétés afin qu’elles puissent récupérer leurs biens. Les sociétés purent immédiatement commencer leurs répétitions afin d'animer les festivités de la libération. La seule fausse note de cette histoire était la déception de mon père, aucune société ne lui a manifesté un remerciement ? Cet acte de courage était un dû !
Lors de la drôle de guerre, en septembre 1939, mon père a été mobilisé par l’armée française. Parti des Vosges, il contourna Paris, passa par la Belgique et la Hollande et atterrit dans la Boucherie de Dunkerque. Son récit de la marche sur les cadavres, de la puanteur des incendies, de l'attente sur la plage d'un embarquement improbable pour l'Angleterre sur le "Foudroyant" était incroyable.
Le lendemain tout le monde pu embarquer sous le mitraillage des avions "Messerschmitt" et les bombardements des "Stuckas". Débarquement effectué en Angleterre sur les plages de Douvre, le "Foudroyant" repris la traversée et mon père assista à son agonie à quelques kilomètres du rivage. Il coula instantanément. La troupe marcha de Douvre à Plymouth. Là, rebelotte, il ré-
Retour en France, dans des conditions similaires, marche jusqu'en Champagne. Là il est doté de son premier fusil avec quelques cartouches, non pas pour tirer sur l'ennemi, mais bien dans les foudres de champagne. Il disait souvent "j'ai marché jusqu'aux genoux dans le champagne". Après une marche assez pénible, exténué et fatigué, il s'allongea dans l'herbe près de l'église d'Ey en Champagne et s'endormit.
Après un moment, il sentit que quelqu'un le chatouilla au pied. Il ouvrit les yeux, vit une paire de bottes et une mitraillette, un peu plus haut un casque allemand. Le boche lui dit :"Erhebet Euch ihr schwache Geister " (levez-
Les restrictions et la guerre avaient rendu mon père très inventif. Au lieu de chercher des "Heilkraüter" herbes à tisane pour la Wehrmacht ou de collecter des vieux papiers ou ferraille, mon père m'obligeait à glaner du blé. Les épis étaient rassemblés en petits gerbes bien serrées (la paille était nattée). La moisson terminée mon père procéda au battage.
Pour cela il avait inventé une batteuse de son cru. Cette machine était fabriquée à partir d’une bicyclette. Le vélo renversé, élimination de la roue avant ainsi que de la fourche. A cet emplacement la fixation de la selle et voilà notre batteuse terminée. La force motrice c'était ma pomme. Je m'installais sur la selle, empoignais les pédales et faisais tourner la roue arrière à toute vitesse. Mon père, assis sur un tabouret devant la roue, appuyait les épis des gerbes contre les rayons de la roue. Le choc faisait éclater les épis et les grains de blé étaient éjectés dans un coin de la pièce, il suffisait d'épurer le tout et de le passer au moulin.
Ce moulin, une autre invention de mon père, le moulin à grains était fixé sur un bac, la manivelle démontée et une perceuse électrique fixée sur l'axe du moulin. On était prêt pour le service. Mon père assis sur le bac tenait la perceuse et la faisait tourner. Moi, j'introduisais les grains de blé, ma mère sortait la matière moulue. Il ne restait plus qu'à tamiser le tout pour avoir une bonne et belle farine et du son. La boulangerie suivait, le pain cuitt par maman était succulent.
La Filature était en plus une usine de construction mécanique pendant l'occupation. Pour Noël, par exemple, on s'organisé à l'usine du "règne " qui était de l'étain et qui servait à mouler les coussinets de roulement de machine. Tout ça se transformait en une armée de soldats de plomb, résistance passive pour narguer l'autorité allemande.
Revenons à notre sujet "le tabac". Il fabriquait en série des machines à couper le tabac. Elle était constituée d'une presse et d'un massicot. Une de ces machines était installée chez nous dans la cave. Le tabac séché en poupées était apporté par les habitants. Mon père, ainsi secondé, procédait à la découpe de cette précieuse herbe à nicot.
Comme nous habitions une impasse, j'avais comme mission de faire la garde afin de prévenir quand des intrus se présentaient. A savoir la machine faisait un certain bruit qui s'entendait depuis l'extérieur ".
Le tabac était ensuite passé dans une mixture dont je ne me souciais pas de la composition, puis séché et fumé. Les cigarettes faites avec ce tabac se nommaient des "Totenbaumnaegel" (clou de cercueil), ça indiquait bien ce que cela voulait direl. Le tabac était vraiment de mauvaise qualité, disait-
Elle était née sous une bonne étoile. Les dix premières années, jeunesse ordinaire dans une France insouciante de la belle époque, surtout moi, chouchouté étant fils unique.
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D'abord en 1939, il y avait le "Negerdärfel ". Dépôt de munitions que l'armée française avait fait sauter, que de trésors de guerre qu’on ramassait. A la libération, c'était pire, les deux protagonistes laissaient tout sur place (armes et munitions). Les expéditions se faisaient par bandes. Le terrain d'expériences se faisait sur les "Dorfmatten" et aux sept écluses. Pêches à la grenade, tir au colt et mitraillette "sten", les balles partaient toutes en l'air, le recul était trop fort pour nos petites mains. Le plus utilisé dans nos jeux était l’explosif retiré des obus de 75 sous forme de paillettes, macaronis, etc.
Pas loin du canal , en pleine nature et caché dans un sous-
En rentrant chez moi, ma mère me prévient que mon papa a eu vent de mon méfait et m'avait promis une correction. Il est rentré, ma mère a quitté la cuisine, j'étais seul avec le dompteur. Il a plaqué la table devant l'entrée de la cuisine, a sorti une cravache tressée et a commencé la distribution, c'était terrible, mémorable. A partir de ce moment, je n'ai plus jamais touché une seule cartouche. Aujourd'hui encore en y pensant, je me dis qu'il avait raison.
En 1940, les militaires français après avoir fait sauter les ponts de l’Ill et des canaux se sont repliés, je ne sais où... Nous étions dans un Nomandsland pendant près d'un mois. Un matin, près de la poste, on a vu arriver des H. J. Hitlerjugend ( jeunesse hitlérienne) et leur hiérarchie.
L'enrôlement s'est fait assez rapidement, via l'école et c'était obligatoire. Ce n'était pas ma tasse de thé. Les supérieurs m'appelaient "Franzosenkopff" (crâne de Français). Mon père a reçu une première amende de 5 Marks pour manquement à la réunion. La deuxième amende était de 10 Marks. Mon père avait assez de payer et m'obligea à 'y aller. Au bout de quelques semaines, nouveau manquement, là bibi devait se présenter à la gendarmerie.
"Pfeffer et Wambo" gendarmes à Erstein, un maigre et petit, l'autre grand et gros, m' ont accueilli dans les locaux avec deux autres copains. On a confié à chacun un couteau de cuisine avec lequel nous devions enlever les mauvaises herbes entre les pavés de la cour de la gendarmerie et cela pendant 6 heures, sans boire ni manger. Par la suite je me suis confié à un instituteur, Monsieur Ehret, qui m'a pris sous sa protection en m'engageant dans le "N.S.Fliegerkorps" section qui s'occupait surtout de la construction des planeurs. Cela me préserva des H.J. jusqu'à la libération. Pendant ces trois ans j'ai pu construire :
3 Jungvolck 1,2 m d'envergure
1 Rhon 2 m
1 Volkensegler 1,5 m
et tous ont volé. Le Jungvolck, je pourrais encore le construire de mémoire aujourd'hui. Vers la fin on m'a accueilli dans une équipe pour la construction d'un planeur grandeur homme qu'on faisait voler à Osthouse sur le Hopfebuckel. A l'école c’était le "Hochdeutsch", l'allemand classique, qui passait difficilement, étant francophone. Quatre heures de cours par jour, quelquefois interrompus pour cause de "Fliergeralarm" (alerte bombardement). On passait jusqu'à trois heures dans une cave-
L'après-
L'école servait aussi pour fêter un anniversaire nazi, une victoire de l'armée allemande et à la montée du drapeau accompagnée de chants et de discours. Les cours ont commencé par le salut hitlérien collectif. Ecoute du Heeresbericht, du nombre de Brutoregistertonnen (tonnes) envoyés au fond de la mer par la Kriegsmarine. Interdiction de lancer un bonjour, un merci, de se coiffer d'un béret (Judenmütze).
Mémoire écrit à Erstein par :
Marc NICOLA
(1) Le général Philippe Leclerc de Hauteclocque 1947 lors d’une commémoration à Erstein.
(2) La maison Vogel est aujourd’hui le bâtiment qui domicilie la Trésorerie d’Erstein 17 Rue Du Rempart.
(3) Monsieur Vogel est un ancien directeur de la Filature d’Erstein
(4) établissement scolaire pour les cours complémentaires (collège).
Le général Leclerc (1)