Alors qu'on annonçait officiellement la présence du Général De Gaulle à la messe de minuit en la cathé­drale Notre-Dame de Paris, une petite ville d'Alsace, Erstein, à peine libérée, quoique située à quelques kilomètres du front, avait le grand honneur de voir le Général De Gaulle assister à la messe de minuit dans son église.

Il fait froid en ce jour de dimanche, veille de Noël, le thermomètre est descendu en-dessous de 0°. La grand'messe est à peine terminée que retentissent déjà autour de l'église des coups de marteaux. De nom­breux ouvriers juchés en haut de grandes échelles, le P.C. du général Leclerc à Erstein depuis un certain temps, a fait venir exprès la grande échelle des pom­piers de la ville de Strasbourg travaillent fiévreuse­ment. Ils recouvrent les grands vitraux de couvertures et achèvent, ainsi le camouflage de l'église Saint-Mar­tin à Erstein. Ce camouflage que les gens les plus optimistes croyaient matériellement impossible, a été réalisé en quelques heures, car le général Leclerc l'a voulu ainsi. On n'a pas l'habitude de discuter les ordres du général ; d'ailleurs la paroisse a accepté avec joie l'annonce de la messe de minuit pour 17 heures. Le général prend des décisions parfois inat­tendues, mais il n'a pas l'habitude de déranger ses hommes pour rien. A 13 heures, le crieur public annonce que les patrouilles seraient renforcées jus­qu'au 25 à midi.

Déjà on chuchote d'oreille à oreille : "Il paraît que le Général De Gaulle doit venir à Erstein ; on prétend même qu'il assistera à la messe de minuit".

Vers 14 heures, des appareils américains revenant d'Allemagne survolent notre ville. L'un d'eux, proba­blement atteint, est forcé de se délester et de laisser tomber quelques bombes. Les dégâts sont heureuse­ment peu importants. Mais involontairement on songe à ce front du Rhin si près, à cinq kilomètres à peine du centre de la ville, et à cette rumeur qui se répand de plus en plus... Un va-et-vient intense de voitures militaires et des soldats revenus du front, pour être passés en revue annoncent maintenant la grande nouvelle : "Le général De Gaulle est au P.C. du général Leclerc. Il restera sûrement pour la messe de minuit prévue pour 17 heures". A chaque carre­four des sentinelles montent la garde, vérifient les cartes d'identité des passants.

A 16 h 45, une foule immense se dirige vers l'égli­se. Erstein est sur pied ; personne ne veut manquer l'occasion. A chaque porte, un groupe de soldats, fusils et mitraillettes à la main, observent les gens qui entrent. L'église a pris sa parure de fête. Les puissants projecteurs illuminent les sapins du chœur. La crèche, aux lampes multicolores et rutilantes, attire les regards. A l'endroit où se tiennent habituellement les enfants, trois fauteuils attendent. Les premiers bancs portent chacun une petite pancarte "Réservé". La foule des fidèles et des curieux a vite fait de rem­plir les rangées. Dans les nefs latérales, d'innom­brables personnes sont obligées de rester debout, l'église n'a certainement jamais connu, au cours de son histoire, une telle affluence.


LE GÉNÉRAL DE GAULLE ARRIVE

17 heures sonnent. Le clergé et les enfants de chœur traversent la nef en procession pour se rendre au portail principal. Le Général est reçu en chef d'Etat avec l'encens et l'eau bénite. A l'orgue, M. Hertzog, joue une pastorale et entonne le chant "Il est né le divin Enfant..." ; mais l'impatience et l'émotion empêchent de chanter et nos yeux voudraient se rem­plir de larmes de joie.

Lentement, à droite de M. le curé doyen Lux, la sil­houette élancée du général de Gaulle s'avance vers le chœur. Un groupe d'officiers supérieurs de la suite du général et l'Etat-Major de la 2e D.B. occupent les places réservées.

Des militaires casqués se glissent derrière les sapins. Les soldats de service, en casque et l'arme au bras, exercent une surveillance discrète mais ferme. Pendant toute la durée de l'office, par mesure de sécu­rité, les portes sont verrouillées. Derrière le banc de communion, le ministre de la Guerre, M. Diethelm, a également pris place. Il est alsacien, lui, et doit cer­tainement se retrouver avec plaisir en Alsace pour cette fête de Noël, la première en France libérée.

Après une courte allocution de bienvenue de M. le curé-doyen, M. l'abbé Bastian, visiblement ému, monte en chaire pour donner quelques conseils aux assistants. En effet, personne ne doit quitter l'église avant le départ des autorités militaires.


TE DEUM

La Sainte-Messe commence. Le vicaire M. l'abbé Bastian est diacre ; M. l'abbé Fugger, sous-diacre et M. le curé-doyen Lux officie. A l'évangile, le R.P. Fouquer, aumônier divisionnaire, monte en chaire. En des termes très simples, il dit la joie immense que nous éprouvons en ce jour de fête chrétienne. Pen­dant la messe, le chœur mixte chante une messe à quatre voix avec accompagnement d'orgue.


Après l'élévation, la communion des fidèles com­mence et se poursuit jusqu'à la fin de l'office, tandis
que le service de surveillance se rapproche du Géné­ral. Très simplement, le général Leclerc et de nom­
breux soldats portant l'écusson d'or à croix de Lorrai­ne, se mêlent aux fidèles et cette simplicité ne fera
qu'augmenter la popularité de "notre" Leclerc, comme disent les Ersteinois.

L’OFFICE

APRES LA CÉRÉMONIE

Après la messe, le général de Gaulle remercie briè­vement le curé doyen, puis est reconduit à la porte de l'église par le clergé. Les yeux sont rivés à lui ; der­rière lui le sourire du libérateur de Paris, de Stras­bourg et d'Erstein, le général Leclerc. On entend une voiture puissante qui démarre : le général De Gaulle est parti.

La foule se disperse lentement consciente d'avoir vécu une heure d'histoire que nos arrière-petit-fils nous envieront encore.

Extrait des "Mémoires de Guerre. Le Salut 1944-1946, Plon, éditeur" pages 141-142.

"Le 2e  corps reçoit ensuite ma visite. En écoutant Monsabert, il m'apparaît que son ardeur ne compen­se pas ce qui lui manque pour enlever les positions ennemies entre le Rhin de Rhinau et les Vosges de La Poutroye. Me voici à la 2e Division blindée. Depuis des semaines, elle se heurte, vers Witternheim, à des défenses qu'elle ne peut franchir. Les uni­tés sont fatiguées ; les villageois, soucieux. A Erstein, en compagnie de Leclerc et de beaucoup de soldats, j'assiste à la messe de minuit. L'atmosphère est à l'es­pérance, non à la joie..."

                                                    Charles De Gaulle

Auteur : Léon BUSSER

publié en 1995 dans

l’annuaire de la S.H.Q.C.


NOËL 1944 À ERSTEIN

LA MESSE DE MINUIT DU GÉNÉRAL DE GAULLE


Général Charles De Gaulle

Général Philippe Leclerc

Article du journal D.N.A. concernant ce chapitre : lire la suite…

Reportage France3 : lire la suite…