LE  RELAIS  D’ÉTAPE,  DIT  « ÉTAPPENSTALL »

L’ancien relais militaire (Etappenstall) est implanté à l’entrée ouest de la ville, à côté de l’emplacement de l’ancienne porte de Sélestat, dit “Obertor". Le bâtiment, d’une surface de 270 m2 au sol et sur deux niveaux, est parallèle à la rue du Général de Gaulle. A sa droite, se situe une maison à colombages sur deux niveaux, qui était le logis du gardien, une passerelle la relie au relais d’étape.

En 2001, la ville d’Erstein a entrepris des travaux de réhabi- litation et de transformation afin de créer un pôle culturel, une galerie d’exposition sur toute la longueur du bâtiment.

L’implantation de l’Office du Tourisme à l’entrée, et, à l’étage sous les combles, d’un espace musée dont le projet culturel pourrait être un musée d’Histoire et d’Ethnographie d’Erstein et du Ried. L’ouverture est prévue pour fin mai 2002.

Du grand malheur des guerres

La guerre de Trente Ans (1618-1648) a été particulièrement douloureuse pour l’Alsace. Au milieu du XVIIe siècle, la région n’est plus qu’un immense champ de ruines et la population est décimée (de 274 habitants en 1629, Erstein n’en compte plus que 117 en 1649).

Pourtant, plus que la guerre elle-même, c’est le passage répété des soldats qui est le plus fortement ressenti chez les habitants. Dans les années 1630, les mercenaires du roi de France et, surtout, les troupes suédoises sèment la terreur sur leur passage.

L’occupation militaire d’un lieu entraîne la plupart du temps réquisitions autoritaires, destructions des récoltes, pillage des biens, exécutions sommaires... Le pays occupé doit supporter toutes les charges de la guerre et rompt le fragile équilibre du monde rural.

Ainsi, en 1632, 3000 Suédois s’établissent entre Erstein et Fegersheim, le bourg est pillé et incendié ; à leur tour, les Français détruisent les remparts en 1635, laissant les habitants sans défense.

Les allées et venues des belligérants se poursuivent ainsi pendant une dizaine d’années ; la population en est réduite à vivre dans la peur et la misère, la famine s’installe et les épidémies se propagent. Dans de telles conditions, l’unique préoccupation est d’assurer son quotidien sans autre perspective que de survivre.

Le traité de Westphalie de 1648, qui met fin à la guerre et fait entrer l’Alsace au sein du royaume de France, ne signifie pas pour autant la fin de la présence militaire.

En effet, la politique expansionniste de Louis XIV place à nouveau Erstein sur la route des troupes françaises durant la guerre de Hollande (1672-1679). L’année 1676 est particulière- ment éprouvante pour le bourg qui voit ses récoltes détruites intentionnellement alors même que Louvois, ministre de la Guerre, décide la levée d’un nouvel impôt de guerre exorbitant.

Erstein relais militaire

Durant la seconde moitié du XVIIe siècle (et surtout après le rattachement de Strasbourg à la France en 1681) l’Alsace devient une frontière stratégique de plus en plus importante ; le long du Rhin, toutes sortes d’édifices militaires sont bâtis.

C’est dans ce contexte qu’en 1683 des écuries royales sont construites à Erstein (sur l’actuel emplacement de l’Etappenstall qui devient par la même occasion ville étape entre les places mili- taires de Strasbourg et de Sélestat.

Dans le même temps, Vauban révolutionne l’architecture militaire en faisant construire des places fortes telles que Neuf-Brisach (des Ersteinois sont réquisitionnés pour les travaux en 1694).

Dès 1697, pour faire face à l’affluence grandissante des militaires de passage à Erstein, de nouveaux aménagements sont entrepris à la maison d’étape et, en 1736, une nouvelle maison d’étape est achetée à Christian Miltenberger pour la somme de 2 000 livres.

Les armées de l’Ancien Régime

Le XVIIIe siècle est marqué par un effort de normalisation et d’organisation de l’armée. Le roi recrute ses régiments par l’intermédiaire d’officiers issus de la noblesse, ceux-ci en sont les propriétaires et c’est par contrat (appelé capitulation) que les deux parties sont liées. Le roi a le pouvoir de résilier le contrat à tout moment (officiers et régiments sont alors licenciés), en revanche, il doit leur payer une solde et assurer leur entretien. Mais le système fonctionne mal, ce qui incite les troupes au pillage.

La présence des soldats peut prendre différentes formes : le stationnement, le passage ou les opérations militaires. D’autre part, l’année militaire se divise en deux temps : la campagne, du 1er avril au 30 septembre, et le semestre du 1er octobre au 30 mars pendant lequel les troupes prenaient leurs quartiers d’hiver.

En 1702, une ordonnance royale fixe les cadres réglementaires du cantonnement et de l’approvisionnement des troupes de passage, ceci plus dans le but d’améliorer l’efficacité de l’inten- dance des armées que dans un souci de soulager les populations des exactions militaires.

Durant l’année 1708 les chroniques rapportent que 39 régiments d’infanterie, 3 régiments de dragons, 6 régiments à cheval font halte à Erstein : autant d’hommes à loger et à nourrir...

Estimations des quantités de subsistances à fournir aux troupes de passage (d’après l’ordonnance de 1702)

Organisation du cantonnement et du ravitaillement des troupes

Organisation en quartiers

A partir de 1769, en raison du nombre important de passages de troupes, sur décision de l’intendant royal, le bourg est divisé en quatre quartiers (blanc, rouge, bleu et vert), les maisons sont numérotées. Les troupes sont réparties et logées chez les habitants du bourg, tandis que l ’Etappenstall abrite les chevaux et les bagages. Ce principe d’organisation subsistera jusqu’au début du XXe siècle.

Fonctionnement du relais d’étape

L’entretien de l’armée se fait à l’entreprise, la tâche en est confiée à des civils. Dans chaque relais d’étape se trouve un étapier chargé de subvenir aux besoins des troupes. Pour faire face à la demande, ces commis raflent les vivres qu’ils trouvent aux alen- tours, les payent mal le plus souvent, car ils sont eux-mêmes mal remboursés.

Les populations, quant à elles, doivent fournir le logement et l’ustensile, c’est-à-dire “la place au feu et à la chandelle’’ de même que “le pot et le sel" (bois, chandelle, feu et ustensiles de cuisine).

A cela il faut encore ajouter le transport ; confié à un entrepre- neur, celui-ci, faute de volontaires, procède la plupart du temps à la réquisition des paysans avec leurs charrettes.

A partir de la Révolution, la nouvelle gestion des étapes vise à limiter les réquisitions et instaure le principe des indemnisations. Les charges incombant aux services des étapes sont réparties entre l’administration communale et un entrepreneur privé.

De la Révolution française au Second Empire

En 1797, le relais d’étape d’Erstein passe sous contrôle par adjudication à un entrepreneur général des étapes du nom de Joseph Huder de Strasbourg (2). Un préposé du service des subsistances (également appelé étapier) est en poste dans chaque relais ; il y loge et est chargé d’organiser l’accueil et le ravitaillement des troupes.

L’entrepreneur est tenu de remplir deux fonctions essentielles : l’approvisionnement en vivres et en fourrage des hommes et de leurs chevaux, ainsi que de fournir chevaux et voitures pour assurer le transport des militaires et de leurs bagages.

Le rôle de la commune

La mission confiée à l’administration communale est d’abord de veiller à ce que l’entrepreneur remplisse correctement ses obligations ; c’est elle qui valide ensuite les opérations de passage des troupes. En cas de litige ou de manquement, la commune peut intervenir et, le cas échéant, elle doit suppléer l’entrepreneur.

La Révolution de 1789 et le soldat citoyen

La Révolution française constitue un tournant dans la conception de la guerre et de l’armée. En effet, l’armée révolutionnaire tient à se présenter comme l’antithèse de l’armée d’Ancien Régime, elle est l’émana­tion de la Nation qu’elle défend au nom des principes d’égalité et de liberté.

Les hommes de la Révolution fixent alors toute une série de règlements visant à protéger le citoyen des réquisitions et autres exactions arbitraires du passé ; un règlement sur le service des étapes et des convois militaires daté de 1799 stipule ainsi que : “La répartition du logement chez les habitants se fera par les officiers municipaux, sans distinction de personnes, quelles que soient leurs fonctions et leur emploi (...) Les commandants auront le plus grand soin d’éviter de faire marcher les troupes dans les grains, vignes, prés et autres localités où ils pourraient causer des dégâts, sous peine d’être contraints à indemniser les propriétaires des dommages occasionnés par le passage des troupes’’ (3).

Pourtant, malgré toutes ces bonnes intentions, les guerres révolutionnaires, puis les guerres napoléoniennes continuent à mettre les populations à lourde contribution. Les besoins de la guerre passent donc toujours avant ceux de la population.

Vue ouest de l’ “Etappenstall’’

Cantonnement des troupes d’occupation de 1815 à 1818

La chute du Premier Empire entraîne l’occupation militaire d’une partie de la France ; c’est ainsi qu’Erstein voit s’installer des troupes autrichiennes et allemandes deux ans durant. Cette occupation permanente est assez durement ressentie, comme en témoigne une lettre du maire d’Erstein, F.-M. Walter, datée du 23 juillet 1815 et dans laquelle il fait part de son dépit.

 Néanmoins cette situation n’est pas vécue de la même façon par tout le monde. En effet, durant cette période un dénommé Christian (ou Chrétien) Mehler de Benfeld loua aux troupes d’occupation une partie des bâtiments du couvent dont il était propriétaire. Par la suite, les besoins étant tels, il fit aménager en caserne huit maisons le long de l’Ill, pouvant recevoir 160 hommes et 60 chevaux.

La reconstruction du relais d’étape en 1846

La nécessité d’entreprendre de nouveaux travaux d’aménage- ment était à l’ordre du jour depuis plusieurs années (des travaux sont entrepris en 1810). En effet, le bâtiment était toujours celui de 1683 et commençait à souffrir sérieusement de son âge.

A partir de 1840 il devenait urgent d’intervenir, dans un premier temps la commune décida d’une réparation générale, mais au bout de quelques études il s’avéra que la reconstruction intégrale serait la meilleure solution (4).

Cette tâche fut alors confiée à l’architecte A. Ringeisen (archi- tecte de l’arrondissement de Sélestat). L’architecture est basée sur le principe du “Kniestock”, c’est-à-dire du comble mansardé ; l’ossature est partagée en trois nefs dans le sens de la longueur et se compose de quatre écuries, un peu à l’écart se trouve la maison du gardien.

Le bâtiment conservait sa fonction militaire comme entrepôt mais servait également de remise à la commune et, pendant la construction de l’église Saint-Martin, il servit de lieu de culte.

La présence militaire et le développement du bourg d’Erstein

L’important essor d’Erstein à partir du XVIIIe siècle n’est certes pas dû à la présence militaire dans le bourg. Néanmoins cette présence a contribué, dans une certaine mesure, à favoriser le développement de certains artisanats (notamment du cuir) et la multiplication des auberges (on en compte une vingtaine au XIXe siècle).

La décision de construire un relais d’étape à la fin du XVIIe siècle ne fait que confirmer la vocation de carrefour et de ville d’étape et de passage qu’a toujours eu Erstein au fil de son histoire.


(1) Boisseau : mesure pour les grains. Le boisseau de Paris équi­vaut environ à 12,5 litres.

(2) AVE/H II 2a.

(3) AVE/H II 1z.

(4) AVE/MI 1a.

Sources et bibliographie

Archives de la Ville d’Erstein.

Archives départementales du Bas-Rhin.

R. Friedel, Geschichte des Fleckens Erstein, Gittinger, Erstein, 1927.

A. Corvisier, La France de Louis XIV : ordre intérieur et place en Europe, Sedes, Paris, 1990.

A. E. Navereau, Le logement et l’ustensile des gens de guerre (1439-1789), Poitiers, 1924.

auteur : Vincent HUSSER - Mémoire locale à la Ville d’Erstein

publié par la S.H.Q.C. Tome 19

à droite : logis du gardien de l’EtappenstallVERS LE PORTAIL

Le site internet de l’Étappenstall, lien : Ville d’Erstein